Puisque vous ne connaissez pas l'Arlon des années 40-49. Je vais utiliser un recueil de cartes postales pour vous le présenter. Il est plus facile de décrire une ville avec des images.
J'ai acheté un livre intitulé "Arlon à la Belle Epoque". Il fut rédigé (un bien grand mot car il y a peu de texte) par Jean-Marie Triffaux. La couverture du livre montre une "Vision artistique" d'Arlon à la "Belle Epoque". Ce livre est un recueil de reproduction de vieilles cartes postales ! En famille, nous avons acheté des cartes semblables à celles la brocante, c'était cher ! Certaines sont reproduites ici et vous pouvez les reproduire vous aussi, elles sont à nous et nous vous les offrons !
Sur la gravure qui couvre le livre, on découvre deux églises Saint Martin. Le dessin représente donc Arlon quelque part entre 1904 et 1936. Dans cet intervalle de temps, les deux églises coexistaient: la nouvelle église Saint Martin fut, en effet, commencée en 1904 et l'ancienne fut abattue en 1936. La couverture montre aussi une majorité de toits simples, des batières comme on dit chez les architectes; ce sont des toits dont les deux versants sont parfaitement plans, on ne voit ni croupe ni croupette latérales; il y a de plus quelques toits mansardés, c'est tout. Les murs des maisons sont "tartinés d'enduits" aux couleurs vives, rouge, bleue, jaune ou verte. La majorité des cheminées ne sont pas centrales, mais latérales. Les fenêtres sont "nues", il n'y a pas de volets à persiennes. Dans cette image d'Arlon de la "Belle Epoque", n'ont existé que la colline et les deux églises Saint Martin: le reste (toit simple, enduit coloré, absence de volet) provient donc de l'imagination du dessinateur.
Quand j'étais gosse, je dessinais aussi des églises entourées de maisons. Les toits que je dessinais étaient aussi de simples batières, comme sur la couverture du livre. J'aurais du faire de l'art, j'avais des dons !
Devenu enfant de choeur à Saint Donat, je voyais les toits d'Arlon de haut, chaque matin en montant les escaliers pour aller servir la messe. Je me rendis vite compte que plusieurs sortes de toits coexistaient à Arlon. Un toit c'est quelque chose qui couvre une maison et sert à la protéger contre la pluie, la neige, le froid et le soleil. Il existe plusieurs designs qui permettent d'atteindre cet objectif.
Il existe d'abord la simple bâtière constituée de deux plans qui forment un angle plus ou moins aigu. On retrouve une majorité de ce genre de toits sur l'illustration du livre, sur mes dessins d'école et sur cette carte postale achetée par ma soeur Annie à la brocante. Regardez les gouttières que l'on construisait à l'époque: Elles étaient très larges et je pouvais marcher dedans (je recevais une fessée quand je le faisais). Dans une région (comme celle d'Arlon) où il pleut longtemps et où il neige, on construisait de larges gouttières.
Figure 001: La Grand Place (Grouß Platz vers 1900)
Actuellement les fenêtres sont "nues", on a enlevé tous les volets à persiennes. Si vous enlevez les volets de cette photo les étages n'ont pratiquement pas changé. L'épicerie qui précédait le café d'Ida (avant et pendant la guerre de 1940-1944) montre deux contours de vitrines semblables à ceux que l'on voit actuellement au restaurant Knopes: si vous allez dans ce restaurant vous verrez qu'il est très lumineux (on y mange bien aussi !). Dans notre maison, le toit n'était pas encore à la Mansard et l'enduit mural était encore frais et clair. Le Bazar Walens était de mon temps la mercerie de la "Joffer Müller". On voit le robinet (c'est bien un robinet) à eau au centre de la photo.
Comme il neigeait abondamment à Arlon, aux batières on ajoutait parfois des artifices qui retenaient la neige et protégeait davantage les passants que les larges gouttières seules: il tombait parfois des blocs soit de neige soit de glace.
Figure 002: La grand Place (Grouß Platz):
Il n'y a plus beaucoup de magasins, on a pu enfin planter des arbres. Comparez cette photo à celle de 1900, on s'est contenté de "rafistoler", mais en gros on reconnaît les maisons.
Ainsi il y avait et il y a encore des grilles au bord de certains toits toits. J'en ai photographiée une sur le toit de ce qui était la papeterie Breyer-Lussot. Ces grilles avaient un objectif social qui n'existe plus pour les toits modernes: ils protégeaient les passants des blocs de glace qui pouvaient tomber. Maintenant, ce n'est plus le passant qui compte, mais l'économie que l'on peut faire: c'est une autre approche.
La grille que l'on voit sur le toit de l'ancienne librairie Breyer-Lussot (à droite en regardant le magasin Cami) retenait la neige. On pouvait en toute sécurité aller acheter et lire son journal sur le trottoir... On a enlevé les volets, mais les crochets sont toujours là ... La maison a un air cadavérique, un cadavre sale ! Les fenêtres sont à double vitres et moches. Il est peut-être utile de rappeler que le plastique s'abîme plus vite que le bois ! (un polymère est toujours en équilibre avec ses monomères, lesquels s'évaporent rendant le polymère poreux). Pour vous vendre du plastique on vous dit qu'on a changé ça, on raconte aussi n'importe quoi du moment que ça rapporte !
Figure 003: Le haut de la Librairie Breyer-Lussot (Grand Rue) La maison à l'aspect d'un cadavre blanc et sale, une sorte de "weiß Macchabée" ! J'aime cette maison, car nous achetions là Spirou et Tintin. Je vois encore la vielle dame qui vendait les journaux et recevait les pronostics "Prior". Remarquez les "larmoyers" au dessus des fenêtres. On ne fait plus cela parce que ça coûte cher (toujours la même philosophe ...).
Il y avait ensuite les toits dit "à coyaux". Il présentent une modification de la déclivité. Cela devient plus plat vers le bas: ainsi la neige peut fondre là où c'est plat, sans tomber en bloc sur la tête des passants et des futurs clients qui regardaient les vitrines. Je prend comme exemple le toit de la bijouterie "Henrion" et un des toits du palais du Gouverneur. Ces toits nécessitent une modification coûteuse de la charpente qui provoquent en plus une diminution de la taille du grenier. Mais, ce sont des toits très respectueux des piétons: la neige fond lentement, ne tombe pas en amas sur les trottoirs, de plus les gouttière ne débordent pas elles non plus sur la tête des passants.
Figure 004: La bijouterie Henrion et l'Ecu de Bourgogne (hôtel-restaurant).
Dans les année quarantes, il y avait beaucoup de protections contre la neige: Le passant était un client et toutes les maisons étaient des commerces. On pouvait se faire ses achats et bavarder sur les trottoirs en sécurité même les jours de fontes des neiges: nous ne risquions pas de recevoir des blocs de glace sur la tête. J'allais à l'école sans regarder en l'air. Il y avait suffisamment de choses à contrôler au sol pour éviter de glisser et de tomber.
Figure 005: Un toît à coyaux au Gouvernement provincial.
Il y a enfin le toit habituel et bon marché que l'on utilise pour les habitations modernes. Quand il neige, vous restez chez vous et vous regardez la télé, bien au sec ! On place parfois des gouttière de pays secs; légères et inutiles. Ça coûte moins cher (mais il faut les remplacer souvent et ça arrose copieusement les passants).
Autour de Saint Donat la restauration des anciens habitats a été faite en posant des toits en bâtières (Figure 6). Si vous regardez bien les gouttières de ces maisons, vous verrez combien elles sont fragiles. On a travaillé à l'économie. Ces toits "synthétiques", sont vite couverts de mousses: elles poussent très rapidement sur les ardoises synthétiques ! Ces logements étaient des habitations populaires. Ils ont été "restaurés" et vendus à des prix élevés ! Qu'a-t-on fait des habitants pauvres d'avant ?
Les Maisons faisant les coins des rues avaient des toits dits "à croupes", comme la maison ci-dessous (Figure 7). Cette maison présente en plus des coyaux et d'une large gouttière. Gosse, j'ai acheté deux litres de plâtres dans cette maison (le plâtre se vendait au litre).
Il y avait aussi des toits à croupettes. La croupette a le même rôle que la croupe, mais elle était plus petite et ne se trouvaient pas nécéssairement aux maisons des coins. La croupette permettaient de conserver un large grenier.
Figure 007: Une croupe et des coyaux (coin de la rue du Bastion et du Marquisat).
La charpente de cette maison n'a pas été modifiée lors de la dernière restauration de la toiture. La plus longue des cheminées perce la croupe. Regardez-bien comment les coyaux, construits sur la charpente ont un peu aplati la base du toit. On a bien sûr enlevé les volets, ce qui donne à la maison cet aspect lugubre: on dirait une usine abandonnée !
La pierre d'Arlon est très friable. Les arlonais enduisaient donc leurs murs pour protéger les pierres (enduire ne sert pas à décorer, mais bien à protéger !). On aurait pu utiliser des enduits pigmentés, mais les arlonais se contentaient d'un enduit fait du sable local jaune. Les murs étaient donc jaunâtres, mais devenaient rapidement gris ou plus ou moins foncé (figure 8) !. La maison ci-dessus montre un enduit au sable jaune d'Arlon.
Les murs noircissaient, se desséchaient, se fendaient et s'écaillait en vieillissant. Seules les grosses fermes des environs étaient enduites de rose (l'enduit était à base de chaux colorée en rose, il s'écaille). Maintenant on construit peu en pierre, on enduit donc peu; par contre, un construit en béton que l'on peint. L'artiste qui a illustré la couverture du livre a donc simplement transferé le présent dans le passé.
Figure 008: Une croupette percée d'une cheminée (vue prise près de la gare).
La croupette de l'ancienne épicerie Hollenfeltz est percée d'une cheminée. Jadis il y avait là une épicerie dans laquelle allait parfois ma mère. Le fils d'Ignace Rodesch a dirigé cette épicerie avant de retourner au lycée pour fille enseigner le latin et le grec (c'était un excellent professeur !).
Dans les quartiers chics et récents du bas de la ville, les toits étaient "à la Mansard", souvent avec lucarne. On a ainsi transformé le toit de notre maison, créant un étage supplémentaire: Cette transformation rendit habitable une partie du grenier.
En hiver il faisait très froid, aussi les arlonais construisaient les grandes maisons autour d'une cheminée centrale qui permettait de conserver la chaleur et de la distribuer dans tout l'habitation. Une cheminée latérale distribuait la chaleur, mais à l'extérieur. Dans notre maison, la cheminée chauffait le magasin. On construisait des cheminées latérales pour les maisons étroites: les pauvres chauffaient les rues !
Les fenêtres avaient toutes des volets à persiennes. On pouvait ouvrir les volets en les plaquant contre les murs. Grâce à de tiges métalliques on maintenait les volets contre la façade. En été, quand il faisait très chaud les volets étaient clos nuit et jour, à l'aide d'un levier on réglait la persienne pour que rentre l'air et pas la chaleur: dans ma chambre il faisait donc frais en été et chaud en hiver !
Figure 009: Les volets à Metz (rue des Clercs)
Jadis Il y avait, comme à Metz, ce genre de volets partout Arlon. A mon avis les maisons ont l'air plus habillées. Naturellement il faut de bons menuisiers ... A Metz, il y a aussi des doubles vitres ! Volets et double vitrage sont une bonne manière de conserver l'énergie.
En hiver, les volets était aussi clos, persiennes fermées: j'étais protégé du froid et du bruit. C'était certainement plus écologique. Maintenant, il n'y a plus de volets à persiennes; ils ont disparu progressivement. Si vous visitez Metz et les environs de Metz (cela vaut la peine), vous verrez que dans cette ville le maire a fait restaurer les volets à persiennes: c'est très beau !
L'auteur de l'image du livre de Triffaux a certainement rêvé d'un endroit qu'il a appelé Arlon. On ne doit pas empêcher les artistes de rêver, de rêver d'enduits colorés ... Nos voisins luxembourgeois usent et abusent des enduits très colorés ... citrons, fraises, céleris, tomates ... Ici en ville cela fait un peu crème glacée.