introduction (souvenirs)

La Neige à Arlon





Les prévisions météorologiques des années quarantes étaient beaucoup plus loufoques que maintenant, quoique ... A l'époque il y avait un refroidissement climatique. C'était la guerre, on n'avait pas assez de charbon pour réchauffer la planète: on s'est rattrapé depuis ! Ma Grand mère qui avait une âme de prophète disait déjà en 1944 que s'il n'y avait plus de saison, c'était à cause de la TSF. La TSF était la Télégraphie Sans Fil. La radio quoi ! De la TSF elle est passée au Spoutnik russe ... elle est mortes depuis et n'a donc pas connu la couche d'ozone et les autres inventions actuelles. De tout temps, les hommes ont attribués aux inventions nouvelles, des propriétés néfastes. Jadis on disait que les trains allaient faire tourner le lait des vaches. Maintenant, on installerait des trains pour qu'elles produisent plus de lait.


En hiver à Arlon, il y avait de la neige, beaucoup de neige !


Dans mon lit, le matin quand j'entendais une pelle qui raclait le trottoir. Ce n'était plus une prévision mais une certitude: enfin il y avait de la neige ! .. Bien au chaud dans mon lit j'imaginais mon père qui avec sa pelle enlevait la neige pour la déposer dans le caniveau qui bordait la rue. Mon père nettoyait le trottoir à la fois parce qu'il avait un sens civique très développé, mais aussi parce qu'il devait amorcer le chauffage central dans la cave. La cave s'ouvrait sur le trottoir et s'il n'enlevait pas la neige, il ne pouvait pas ouvrir la porte de la cave. Lorsque la maison était chaude, je pouvais sortir du lit et me préparer à aller servir la messe.


Il devait être six heure trente am, quand arrivait le chasse-neige. Le chasse-neige était en bois, c'était des poutres disposées en V. Il était tiré par deux chevaux ardennais. Il y avait parfois 40 cm de neige, et seuls les chevaux ardennais pouvaient se déplacer dans la neige et tirer l'engin. Le chasse neige glissait et formait ainsi deux congères qui séparaient les trottoirs de la rue. A la pelle, mon père creusait ensuite dans les congères le passage qui lui permettrait d'aller chez le boulanger et à l'épicerie. Il pouvait ainsi se rendre chez Simonis le Boulanger et ramener un bon pain tout chaud.


Pour aller à Saint Donat servir la messe de 7:00 heures, j'avais le choix, ou bien je prenais la rue dégagée par le chasse neige ou bien je prenais le trottoir qui bien souvent n'avait pas été dégagé (mon père était un lève-tôt, mais les voisins étaient nettement moins courageux). Je choisissais le trottoir, parce que le route dégagée était glissante: le chasse neige écartait une grosse partie de la neige, mais il "tassait" le reste sur les pavés convexes et c'était glissant. Sur les trottoirs par contre, la couche de neige était plus haute que mes bottines, mais cela ne glissait pas. Il entrait un peu de neige dans mes bottines et j'étais bien content d'atteindre la sacristie qui était bien chauffée. Herr Plovier, Le Sacristain, était déjà là (c'était un flamand, il jouait du clairon à la caserne).


A l'époque, les bottines étaient en cuir y compris les semelles. Les semelles étaient collées, puis cousues à la main. Nous avions froid aux pieds et en plus les pieds étaient souvent mouillés. Le soir on mettait des journaux chiffonnés dans les chaussures puis on les mettait à sécher sous les radiateurs. Ma mère avait des snow boots, c'est ainsi qu'elle appelait des schnowbottes. A Arlon, le s en début de mot se prononçait sch. Elle pensait que l'anglais était une sorte de boche dégénéré.


Après la messe je redescendais de la Knip'tchen vers la maison. Un camion montait la rue des Capucins. La "ville" n'avait que ce camion, c'était le camion "à immondices". Le camion amenait du sable pour recouvir la neige residuelle, que le chasse neige avait tassé sur les pavés. Dans la benne, trois ouvriers communaux munis d'une pelle jetaient du sable sur la rue. Avec ce sable on pouvait maintenant marcher. Mais je restais sur le trottoir, car j'aimais marcher dans la neige. Je n'avais pas peur d'avoir les pieds mouillés, chez nous il faisait chaud et à l'école aussi.


Mon père avait ramené un pain rond tout chaud et bien cuit de chez Simonis. Dans notre famille, c'était le Pater Famillias qui découpait le pain. A cette époque, il n'y avait pas encore de machine à couper le pain, mais un grand couteau bien aiguisé. Tout la famille était levée. Assis à table chacun prenait le petit déjeuner. Je tartinai une tranche de pain avec du pâté ou de la confiture maison. Je mangeai le tout en buvant du café à la chicorée bien chaud lui aussi. Ma soeur Annie se préparait du chocolat à tartiner en incorporant un mélange aqueux de cacao et de sucre "farine" à de la margarine "Solo".


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Ensuite on s'habillait chaudement et on allait à l'école. Chaudement voulait dire des pantalons golf bruns, un pull et des bas en laine, le tout recouvert d'un "loden" teint en vert après avoir été taillé dans une couverture usagée. Pour me faire aimer les pantalons golfs, on me disait que je ressemblerais à Tintin.


D'autre que mon père avaient déjà balayé leur trottoir, Mais cela glissait quand même un peu partout. Mon père nous mettait autour des chaussures des morceaux de toile de jute qu'il fixait à l'aide d'une ficelle. Ensuite commençaient les batailles de boules de neige et les longues glissades avant d'arriver dans la cour de l'école. On pouvait venir à l'école en traîneau. Il n'y avait pas d'auto à cette époque, ou plutôt, il y avait des autos mais pas d'essence.


Devant la porte des classes, nous fabriquions des glissoires qui accélérait fortement les rentrées en classe. Par les fenêtres, nous pouvions voir l'instituteur qui préparait le poêle pour nous faire une classe chaude. Il vidait d'abord le poêle, puis y disposait du papier et du petit bois. Il enflammait le papier. Quand tout cela brûlait bien, il ajoutait le charbon. Pendant la classe, il rechargeait avec du charbon pour que nous ayons bien chaud ! Je me demande si la chaleur d'un poêle ne chauffe pas mieux que celle d'un radiateur, c'était plus poétique ! Nous avions conscience de ce que l'instituteur faisait pour nous: nous avions beaucoup de respect pour nos instituteurs.


Les poêles étaient de grand cylindres noir en fonte munis d'une longue cheminée pour bien répartir la chaleur dans la classe.


Pour moi, la guerre de l'Ardenne, c'était en quelque sorte une bataille dans la neige. Un jour de tempête de neige, mon père nous amena dans la rue des faubourgs. Des tanks américains se suivaient de la rue de la prison vers la Nationale 4, en direction de Bastogne. Ils arrivaient sans doute de Reims pour renforcer les autres américains qui se faisaient repousser par les verts. Les chars américains avançaient lentement sous la neige qui tombait.


Tous les dix ou vingt chars, il y avait un char chasse neige. Mon père me disait qu'il n'y avait pas de chauffage dans les chars. Ils nous apprit que le métal était un bon conducteur et que donc les tankistes devaient donc avoir froid.


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Les américains se sont installés à Arlon, ils ont installé un quartier général, de hopitaux, des camps, des lieux de repos notamment dans les couvents de Clairefontaine. Ils occupaient l'école des Frères, et après les vacances, nous eûmes encore congé pendant un certain temps. Nous avions une peur, celle de voir revenir les allemands ! Ils revenaient, mais comme prisonniers.