introduction (souvenirs)

La Het'chegas
(l'apostrophe indique une glottalisation, un arrêt respiratoire)





Je suis né dans la Het'chegas ... !

On rend les gens de la Het'chegas honteux de leur origine. Certains ont dû quitter la ville et parfois même l'Arelerland parce qu'on se méprisait de leurs racines ... Si vous avez n'aimez pas la Het'chegas et ses habitants... il vaut mieux arrêter ici votre lecture et regarder la télé car j'aime et j'ai toujours aimé la Het'schegas et je vais vous le montrer !


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Figure 001: La rue de la Porte Neuve:
Qui donc a inventé le mot le mot Neipuertgaass? Quand j'étais petit, la rue de la Porte Neuve était la Het'chegas. On disait aussi la Rue de la Porte Neuve, mais on ne traduisaient jamais. on disait "Rue de la Porte neuve" en français et la het'chegas en arlonnais ! A Luxembourg il y a aussi une rue de la Porte Neuve, sans traduction elle non plus. A Luxembourg ils n'ont toutefois pas de Het'chegas, d'accord, ils ont un Grand Duc ....

La Het'chegas, gas, comme le gaz des cuisinières, est un quartier d'Arlon très difficile à circonscrire: si vous demandez à un arlonais où est l'endroit, il vous dira que la Het'chegas c'est partout sauf là d'où proviennent ses parents. La Het'chegas c'est donc nulle part ! J'ai d'ailleurs lu un article de quelqu'un qui se demandait aussi où c'était, il a raconté une histoire de gamelle ... ! On ne connaît pas l'origine du nom. Il y a des gens qui disent "Het'chengas", cela n'est pas possible: en arlonais, le "n" s'amuit toujours devant une consonne, ici le "g" du suffixe -gas (loi d'Eifel au Grand Duchél).


Gas est un suffixe. A Arlon, 'gas' veut dire 'rue' (Gouss Gas = Grand rue). Il y a plusieurs autres mots pour dire "ruelle". Car en luxembourgeois et en allemand le mot veut plutôt dire ruelle ... quoique au Grand Duché, il veut parfois dire Rue. Donc la Het'chegas est la rue hetchen.


L'arlonais est un patois oral. On a écrit les sons parlés entendus lors d'une enquête. Cette enquête peut porter sur votre voisin ou sur un échantillon valable ... On peut écrire ces sons à l'allemande ou à la française ou alors avec un mélange des deux comme font les grand ducaux. J'écris "chen", parce que "je crois" que le nom est un diminutif et que chen est un suffixe de diminutif: c'est donc un acte de foi. C'est une façon de vous montrer le caractère très subjectif d'une transcription, on choisit les lettres, la langue, la prononciation, les césures et tout et tout ... Bref on fait ce qu'on veut ! Ce n'est pas très sérieux.


On appelait Het'chegas les quartiers pauvres et germanophones autour de la Knip'tchen. A Arlon on prononce le t et on dit donc Knip'tchen. Pour vous amuser, "tchen" est aussi un suffixe de diminutif. Une Knip'tchen est une petite Knupp (colline). Chen est un suffixe de diminutif, mais à Arlon, derrière certaines consonnes, le suffixe devient tchen. A Arlon, l'Umlaut du "u bref" est le "i bref", comme en Anglais (Miller ---> Müller)

Mon père disait que la Het'chegas commençait au croisement de la rue de la Porte Neuve et de la rue des Capucins (chez nous, quoi!).


Certains qui ne connaissent rien en linguistique remettent le patois au goût du jour. C'est quoi la Neipuertgaass, qui a inventé ce "nom-là" ? On a multiplié les plaques soi-disant "bilingues" a Tontel, Schockweiler, Attert ... et on l'a fait à tort et à travers ! Pour ceux que cela intéresse, rappelons qu'on a parlé successivement plusieurs langues à Arlon et parmi elles le français. Il faudrait peut être savoir si la nouvelle porte n'a pas été construite à une époque où l'on parlait français. En tout les cas, on a toujours dit rue de la Porte Neuve.


Signalons que je refuse d'écrire l'arlonnais avec les conventions du luxembourgeois contemporain. Les luxembourgeois font ce qu'ils veulent, moi aussi. J'ai déjà appris suffisamment de conventions pour l'anglais, l'allemand, l'espagnol et le français. Pour les "dialectes en voie d'extinction" j'utilise les conventions de la (ou des) langue (s) à laquelle (auxquelles) on les rattache. Ici j'utiliserai donc les conventions du français et de l'allemand. Ce sera d'ailleurs plus facile pour la majorité d'entre vous.


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Figure 002: Notre maison vue de face Mon père disait que la Hetchegas commençait au croisement de la rue de la Porte Neuve et de la rue des Capucins (chez nous, quoi!). Remarquez que HERWEG s'écrit maintenant HERVEG: c'est plus francophone ! Les blocs sur le trottoir empêchent les voitures de se garer.

C'est dans la Het'chegas que l'on parlait le "véritable" arlonais. Les habitants autochtones parlent maintenant le français, mais avec un accent typique: Ils accentuent fortement la première syllabe des mots en postillonnant énergiquement (p'), mon père disait qu'on ne va pas dans la Het'chegas sans parapluie. Jadis, les habitantes de la Het'chegas fréquentaient l'église saint Donat. Les ecclésiastiques s'y exprimaient en allemand et en arlonais (pour les confessions). Confessez-vous en allemand maintenant, le curé ne comprendra pas.


Le chanoine Eyschen de Cologne est né 14 rue des Capucins, dans la Hetchegas, en 1592. Son père vendait du "Weißbrod" (pain blanc). Le chanoine Eyschen fut le champion de la "contre-réforme" en Germanie (il n'y avait pas encore d'Allemagne à cette époque). Certains pensent que "Hetche" vient de Eyschen. On peut faire plein d'hypothèses, mais une bonne preuve ça ne court pas les rues ... !

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Figure 003: Eyschen:
Tous les Eyschen du Grand duché de Luxembourg, les Paul et les autres, descendent d'un boulanger de la Het'chegas (un des frères de Georges Eyschen fut curé à Messancy).

On dit aussi que Hit'chen est en arlonais le diminutif de Hutt, le chapeau. Les arlonais comme les allemands confondent les sons i et e et diraient "Het'chen" au lieu de "Hit'chen". Les Het'chen sont les calots (petits chapeaux) que portaient les commerçants juifs. Selon cette hypothèse, la Het'chegas serait donc à l'origine un quartier juif. Ce serait donc par antisémitisme que certains affirment ne pas être originaires de la Het'chegas. Mais ici encore une bonne preuve ...?


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Figure 004: Hichen:
Tous les Eyschen du Grand duché de Luxembourg, les Paul et les autres, descendent d'un boulanger de la Het'chegas (un des frères de Georges Eyschen fut curé à Messancy).






. La Het'chegas, le coeur d'Arlon.




Dans la Het'chegas, il y avait des ouvriers, des artisans et des commerçants. Il y avait trois boucheries (Aloys, rue de la Porte Neuve, la maison qui avait des grilles verticales en fer aux fenêtres, Schandler, la maison aux volets baissés, rue Ermesinde et le numéro 8 rue de la Porte Neuve). Il y avait deux menuisiers (Ponsin et Durant), des plafonneurs, un boulanger (Durant-Hugo), un marchand de meubles (Maul-Grauf), un café (Ida la Rouge et sa fille tout aussi rouge), deux épiceries (Hollenfeltz et ?)


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Figure 005: Le début de la Het'chegas.

Les ouvriers de la Het'chegas travaillaient aux usines d'Athus (Belgique), de Rodange (Luxembourg) et de Longwy (France). Il y en avait, aussi mais moins à Mont Saint Martin, Réhon et Differdange. Ils travaillaient à pause. Ils prenaient le train pour se rendre au travail. Un peu avant l'heure du train ils s'agglutinaient dans la Het'chegas, puis le groupe s'accroissait dans la rue des Capucins, au marché au légume et à la place Léopold. C'était quasi un régiment qui arrivait à la gare en descendant l'avenue Molitor.


De la Het'chegas à la gare d'Athus, il y avait une heure à aller et une heure au retour. Pour aller à Longwy et à Rodange, il fallait encore prendre un autre train à Athus. Comme les journées étaient de huit heures ils étaient absents au moins dix heures par jour. Leur travail était un travail de force, beaucoup mouraient avant la retraite. Leurs enfants étaient placés à l'orphelinat puis comme garçons de ferme par une administration communale pleine de "philanthropes" qui regardaient à leurs sous. On disait qu'un philanthrope était quelqu'un qui utilisait les pauvres pour se faire bien voir des riches. J'avais des copains à l'orphelinat, c'est pour cela que je détestais les "soi-disants Philanthropes".


Les femmes des ouvriers avaient souvent une dizaine d'enfants. Malgré cela, elles travaillaient souvent comme femmes à journée chez les bourgeois du bas de la ville (les "Philanthropes" étaient parmi ces bourgeois-là). Quand elles rentraient le soir, elles faisaient le souper et le ménage. A cette époque, faire le ménage c'était aussi faire les lessives à la main et dehors. Les eaux de rinçage étaient froides et il faisait souvent très froid dehors: leurs mains étaient rouges et ridées. Ce quartier ressemblait énormément à ceux décrit par Emile Zola.


Dans la Het'chegas, on parlait un patois pur et dur ( und grob). On y circonflexait les mots. Circonflexer pour dire Karl c'est dire Ka-har-lll. Pour pénétrer dans la Het'chegas, il fallait montrer patte blanche. Pendant la guerre, les Nazis mêmes armés n'osaient pas s'y aventurer seuls, ou alors ils le faisaient discrètement et poliment, par exemple pour faire respecter le couvre feu. Les militaires, policiers etc. devaient éviter l'endroit.






b) Bamboula





La Het'chegas posait un grave problème à l'administration communale. Quel est le policier qui serait admis dans ce quartier ?


Après moultes palabres, on décida d'y envoyer "Bamboula". "Le" Bamboula était un policier arlonais originaire de la Het'chegas: il connaissait ses ouailles. Il habitait sur la Knip'tchen, à côté de l'église Saint Donat. Il tenait son nom de la couleur de sa peau.


C'est vrai qu'il était un plus foncé que les gens du quartier. Il correspondait à l'idée que les gens se faisaient "alors" d'un noir. A cette époque, les noirs n'étaient pas admis en Belgique. On ne dit pas cela dans les écoles, cela ferait un peu raciste (le pays est raciste): les Nazis n'aimait pas les juifs, mais nous nous n'aimions pas trop les noirs.


Les missionnaires n'allaient pas dans la Het'chegas montrer des photos des petits congolais en voie d'évangélisation. L'armée américaine cachait ses noirs. Les habitants n'en avaient pas vus beaucoup et ils pensaient donc que les congolais ressemblaient à Monsieur Banania, le seul noir connu à Arlon.


Quand le Saint Nicolas de la Hetchegas (Madame Antoinette) allait de maison en maison, il était accompagné de son "Bamboula". Ce dernier était un noir, un méchant noir: monsieur "Antoinette" le visage noirci avec de bouchon brûlé (Monsieur Antoinette était le mari de Madame Antoinette).


Je ne pense pas que "Bamboula" fut d'origine africaine. Je ne connais pas l'origine du surnom. Je ne connais même pas le vrai nom de ce policier modèle !


Bamboula était un homme respecté. Il n'avait pas étudié le droit, mais il avait une idée toute personnelle de la loi. Sa nomination a permis de pacifier la Het'chegas. Quand un enfant n'était pas sage, on disait "on va appeler le Bamboula" et il devenait de suite obéissant. Je pense que la force de Bamboula provenait du lien qu'on faisait entre lui et le Père Fouettard. Le bon était blanc (Saint Nicolas), le mauvais était noir (Bamboula). On n'était pas raciste à Arlon ! ... Pas beaucoup !






Les enfants de la Het'chegas





Quand les enfants rentraient de l'école (Schoül), la maman était encore au travail ou fatiguée du travail qu'elle avait effectué durant la journée. Abandonnés à eux-mêmes, les enfants (Kanner) se retrouvaient donc sur la rue. Ils jouaient là avec les copains et les copines.


Pour les parents (Eltern), il semblait inutile d'aller à l'école, de faire des devoirs et d'étudier des leçons. Le sort des enfants était déterminé: il iraient à l'usine s'ils étaient garçons et faire les ménages si elles étaient filles.


De toutes façons, à la maison, il n'y avait pas de place pour faire ses devoirs: la table servait à faire la cuisine puis à souper. Les parents ne parlaient d'ailleurs pas la langue que les enfants apprenaient à l'école: ils ne pouvaient donc pas les aider. Les enfants n'étaient donc pas de bons élèves. Il y eut des exceptions ! Pour être une exception il fallait être exceptionnel ! A Athus, il y a un ouvrier qui est devenu "Prix Nobel de Physiologie et Médecine" en 1974. Il est vrai qu'il était aussi devenu citoyen américain, il n'avait pas le piston qu'il faut pour rester en Belgique ! Quand il a eu son prix, on a dit "il est des nôtres ..."


On parle de "mixité" sociale ... Je me demande si la misère humaine n'est pas le fond de commerce de certains.


Les filles (métchen) allaient à l'école communale des filles rue de Neufchateau . Les garçons (Bouf) allaient à l'école communale de la place Didier (abattue et remplacée par des appartements dortoirs plus rentables). Filles et garçons se retrouvaient donc le soir dans la rue pour jouer.


Je les enviais. Par la fenêtre, tout en faisant mes devoirs, je les voyais jouer. Quand on me mettait au lit, je les entendais encore jouer ! Mes parents ne voulaient pas que je joue avec "les gosses de rue". C'étaient des "knachtichen Déiwel" (diables boueux). La mixité ... !






Le Folklore





Il y avait des personnages folkloriques dans la Het'chegas. Il y eut je ne sais quand "Die Al mam Zack". Je ne l'ai pas connue, mais on chantait une chanson: "Die Ale mam Zack, die Al mam Zack, die Al mam roüde Zack (la vieille au sac, la vielle au sac, la vielle au sac rouge)". Je n'ai aucun souvenir personnel de "Die Ale mam Zack".


Par contre j'ai bien connu "la Ketty mam Witzi". "Ketty" veut dire Catherine, mais je ne sais pas ce que veut dire "mam Witzi". Mam veut dire "avec", c'est la contraction de Mat et dem). Witzi pourrait être le diminutif arlonais de "Wutz" (la mèche de cheveux). Le suffixe "i" est aussi un suffixe de diminutif: un chien se dit mupp et un petit chien mip'tchen ou"mippi"(le mippi à sa mémé).


A Arlon il y avait des mots terminés en i dont je ne connaissais pas le sens. Un habitant de la Het'chegas, le "Gissi": encore un diminutif en i, (le p'ti Guß, un Gissi est aussi un petit cochon). Il avait été invité à une "noce". On lui a demandé ce qu'il avait mangé. Il a répondu du "Hasen Siwi" Je ne savais pas ce que "Hasen Siwi" signifiait. Ma mère m'apprit que dans la Het'chegas, "Hasen siwi" signifiait "civet de lièvre": siwi est sans doute le diminutif d'un mot que je ne connais pas (je ne sais pas comment on dit "civet" en arlonais) !


Plutôt que d'affirmer qu'à Arlon on parlait "luxembourgeois", on devrait se rappeler que le luxembourgeois est une invention très récente: il n'existait pas quand j'étais petit. Ainsi à Arlon on mangeait des Kromperen et pas des Gromperen, comme le pensent les petits malins qui placent des plaques aux murs. Nos voisins Wallons disent des Krompires (poires cromme) ! Les arlonais vivaient du commerce avec le Luxembourg Wallon il y avait sûrement une influence wallonne sur le parler arlonais. le "Krom" de Krompire ou de Kromperen est d'origine allemande.


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Figure 006: Gromperen :
Le gars qui a rédigé le texte écrit des choses qu'il ne connaît pas ! Ça veut dire quoi une place importante au 18e ...

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Figure 007: Gromperen !


Une affirmation c'est bien, mais une preuve c'est mieux ! Ainsi, le responsable des plaques apprendra quelque chose (Le texte est tiré de la Grammatik de Bertrang sur le patois arlonais. Le texte allemand n'est malheureusement pas encore traduit). Je n'ai retiré de l'original que ce qui est utile ici. Le texte complet est sur le site:
http://herveg.eu --- > Grammatik der Areler Mundart: fotos.


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Mais revenons à notre "Ketty mam Witzi". Elle se promenait en rue avec son "Kueref" (filet) noir. Elle avait des cheveux poivre et sel coupé à la Jeanne d'Arc (d'où mon idée de Witzi). Les gens lui donnaient quitte une tartine, quitte des gaufres. Elle gardait ce qu'elle aimait et jetait le reste dans les égouts.


Personne n'a jamais voulu me dire où elle logeait. Je ne savais pas non plus où logeait "la petite madame rouge". Elle se promenait toute la journée habillée de rouge. Elle portait même une coiffe (Muts) rouge (oui, comme le petit chaperon Rouge). Je ne pense pas qu'elle mendiait, elle se promenait pour s'occuper.


"L'homme automate" avait des gestes saccadés. On lui avait demandé de figurer un automate dans la cavalcade de la mi-carême. Je pense que son surnom vient de là. L'homme automate n'étais pas patoisant.


Il était client chez nous et un jour il aurait demandé (je n'étais pas là) 250 grammes de canaris pour ses petites graines. Un jour de juillet, alors qu'il faisait très très chaud, il conversait en rue avec "Jang, Jang sei Jang" (le Jean, Jean du Jean, encore une figure du folklore) au niveau du café d'Ida la Rouge. Soit en face de notre salle à manger.


- "Qu'il fait chaud aujourd'hui, ! Wie warm as et haüt !" - "Ouais Jang, et si la plus belle femme du monde me demandait de faire l'amour, Jang, Tu sais ce que je lui dirai ?" - "Dis-moi ... Soht mer !!" - Eh bien, Jang je lui dirais "non ! Il fait trop chaud, reviens en hiver !"


Nous étions dans la salle à manger, mes soeurs et moi, riant en imaginant la plus belle femme du monde venant dans la Het'chegas pour demander à l'homme automate de lui faire l'amour.


Enfin il y avait les écrivains. L'écrivain était celui qui écrivait des lettres pour les soldats illettrés. La majorité de ces lettres étaient des lettres d'amour (pas pour la plus belle femme du monde ! parfois pour la plus belle flamande du village). L'écrivain lisait aussi à l'amoureux les lettres qu'un autre écrivain avait écrites au village de l'aimée. Ecrivain, voila une profession d'avenir ! Mais comme vous le voyez il faut apprendre le flamand aussi. ...





Ida la Rouge





"Ida la Rouge" 'était la femme de Victor Hugo. Avec sa fille elle tenait un bistrot chic au 16 rue des Capucins, donc à l'autre coin de la frontière de la Het'chegas, face à notre maison. Victor Hugo était plafonneur. Il ne savait ni lire ni écrire, mais il plafonnait mille fois mieux que son homonyme. Nous ne disions pas "Ida la Rouge", mais bien "Madame Hugo", car nous avions de très bonnes manières nous ! Nous avions de la "classe, nous".

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Figure 008: Ida la Rouge:
La Het'chegas s'ouvre devant vous. A gauche notre maison et à droite celle d'Ida la Rouge (madame Hugo). Ces deux maisons servaient de frontière à la Het'chegas. Le café d'ida s'appelait "Au coin bleu", c'était le caboulot des libéraux, les "bleus".


Le qualificatif rouge s'appliquait à la couleur de ses cheveux, pas à ses idée politiques. Les mauvaises langues disaient d'ailleurs qu'elle n'avait pas d'idées. Le bistrot était le repaire des libéraux de la ville. On aurait donc dû parler d'Ida la Bleue. La fille avait hérité de la couleur de cheveux de sa mère et je pense qu'elle n'avait pas beaucoup d'idées non plus. En plus, ses bras transportaient un éternel loulou tout blanc une sorte de "mippi à sa mémé".


Chez Ida, on buvait de la bière et on bouffait du curé. Contrairement à ce que vous pourriez imaginer, c'était un endroit aux bonnes manière, même si l'on y servait des alcools en période de prohibition. De toutes façons, à Arlon tout était bleu ou nommé par les bleus et si vous vouliez avoir la paix, commencez par ne pas déranger les bleus !


Il y en eu quand même qui cherchaient noise à Ida et donc aux bleus ! (C'était parfois des "rouges"). Ils envoyaient au bureaux bruxellois "ad hoc" une lettre anonyme, annonçant que de l'alcool se débitait chez Ida. Cela provoquait une réaction immédiate, un fonctionnaire venait le lendemain à Arlon pour faire respecter la loi Van der Velde et infliger les peines prévues pour les infractions. Le fonctionnaire venait en train.


En gare d'Arlon, il devait remettre son ticket au garde. Immédiatement le garde téléphonait aux bleus qui téléphonaient à Ida. Elle mettait toutes les bouteilles litigieuses dans un sac à provisions noir et amenait le tout chez nous, demandant à ma mère de garder le sac jusqu'au soir. Ma mère avait un grand souci de conserver les relations de bon voisinage et acquiesçait. Pour nous, Bruxelles c'était ailleurs et Van der Velde, avec son nom étranger, était sûrement un collaborateur au service de l'occupant belge.


Le soir, l'Inspecteur rentrait bredouille à Bruxelles. Il donnait son billet à poinçonner. Le garde téléphonait la bonne nouvelle aux bleus qui la communiquait à Ida. Celle-ci venait chez nous reprendre son sac, et les choses continuaient comme par le passé.


La maison n'a pas toujours été un bistrot. C'était une épicerie. Jadis, l'entrée n'était pas au coin, mais dans la rue des Capucins, entre deux vitrines. L'entrée était juchée au haut d'un escalier en pierre bleue comme chez nous. Il avait une rampe d'accès. Dans le magasin, il y avait un énorme frigo blanc comme on les faisait avant la guerre de 40-44. Ida obtint les autorisations nécessaires pour démolir cet endroit et construire son horrible (car c'était laid) "caboulot", c'est cela que servent les bonnes relations politiques.






Les héros

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Les frères Achille et Lucien Schockert "auraient lancés" une bombe dans une des vitrines du magasin Ambroes. Ambroes était un collaborateur notoire. Il aidait les nazis à envoyer des arlonais de la Het'chegas pour "le travail forcé" en Allemagne.


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Figure 009: Ambroes:

les hommes de la Het'chegas parlaient l'allemand et avaient travaillé dans la métallurgie. Ils pouvaient donc se mettre de suite au travai. lMais ils se cachaient et Ambroes savait où. Ambroes tenait jadis un commerce dans la Het'chegas ... Il connaissait le milieu !


La vitrine bombardée se trouvait de l'autre coté de la rue, à moins de 10 m de l'Hôtel du Nord, le repaire de la Gestapo. Le couvre-feu permettait de se déplacer ni vu ni connu: il était interdit d'éclairer.


Malheureusement la bombe n'a pas tué la bête. Achille et Lucien Schockert sont morts, Achille au camp de Neuengamme avec beaucoup d'arlonais accusés eux aussi d'avoir lancé cette bombe (Cherchez Neuengamme sur Google, vous serez édifiés de découvrir ce qui s'y passait).


Emile Schockert, le père d'Achille et Lucien, avait lui abattu un soldat de la Wehrmach dans un café. Il a été condamné à 12 ans de travaux forcés (Il habitait à côté de la boucherie Aloïs). Il est mort dans la forteresse de Diez Lahn. Son autre fils a été condamné à trois ans de prison pour distribution de tracts antinazi: il a survécu. Mon père me disait de ne pas passer devant les maisons des collabos. "Un jour on y jettera des bombes et si tu es là tu seras blessé." Curieux comme tous les gosses, je suis quand même allé voir à quoi ces gars ressemblaient.


Dans le bas de la ville, la bourgeoisie ornait ses salons de trophées de chasse, On voulait faire de même dans la Het'chegas. Mais dans la Het'chegas, il n'y avait ni salon ni partie de chasse. La salle de séjour servait de cuisine, salon, salle à manger, on y faisait des devoirs et étudiait ses leçons (façon de parler)... Les trophées aussi étaient différents. Dans la Het'chegas, on épinglait des bérets et des casquettes le l'armée allemande. Soyons honnête, il y avait aussi des képis de la gendarmerie nationale et de la police locale.


Il était dangereux de visiter la Het'chegas quand les hommes y étaient. Seuls "étrangers" a être admis étaient la Petite Soeur des malades et les prêtres de Saint Donat. Etaient exclus d'office: policiers (sauf le Bamboula), soldats et ceux du bas de la ville.






Les bagarres





Dans La Het'chegas, il y avait souvent des crêpages de chignons. Je vais vous raconter l'un d'entr'eux:


Dans la "geisel" (ruelle) Porte Neuve, sur le pas de sa porte, une blonde insulte sa voisine aux cheveux plus foncés "Schwah'rze Mac'cabeh" (Cadavre noir) ! L'autre prend la balle au bond et lui crie "Pesch'iche Kart'vüe" (une carte postale collante et couverte de confiture). Après le déjeuner il restait souvent de la confiture sur la table. Le facteur déposait le courrier sur cette table: les cartes postales posées sur la confiture devenaient des "Pesch'iche Kart'vüe". L'accent tonique est sur "pesch" et sur "Kart" , les premières syllabe des mots. Une forte glottalisarion séparait la première syllabe de la suivante: Répetez ..."Pesch'iche Kart'vüe".


L'autre rétorque "Dompiche Tute" ( Dompiche veut dire mouillé et "tute" est un sachet, à Arlon on disait "Toute", pas Tüte comme en allemand, le mot est féminin).


Trop c'est trop, maintenant, c'est le corps à corps. Les deux femmes quittent alors la "geisel" et entrent dans la rue de la Porte Neuve. Les époux et leurs copains vont s'asseoir sur les pierres bleues des porches voisins, ils sentent qu'il va y avoir du spectacle.


La dernière insulte que j'ai pu entendre est "Stènck'iche Tromp'ett" (Trompette puante). C'est une insulte grave: les cheveux arrachés, noirs ou blonds volent dans toutes les directions. Cela dure... les maris, assis sur les pierres bleues du pas des portes, font des paris...


Lentement, la tension retombe... Il y a moins de cheveux qui volent. Les chiens cessent d'aboyer, les maris se relèvent ...


Bamboula ne vient pas, il sait que la tension va diminuer et que les deux mégères iront finalement trinquer chez "le Doula". Je me demande si elles savent encore pourquoi elles ont commencé à se battre... Mais ça leur a fait du bien. Une bonne bagarre, c'est comme l'orage, ça remet le temps en place.


"Le" Bamboula n'intervenait jamais. Il se contentait de se promener, laissant sa réputation (ou celle qu'on lui faisait) faire le reste. L'administration communale avait fait un bon choix !






Les chiens de la Het'chegas





A cette époque on ne risquait pas de se faire écraser par les voitures (Kutsch) en se baladant dans la Het'chegas, il n'y avait pas de bagnole. Par contre, on risquait de marcher dans une crotte de chien, il y avait des chiens partout !


Un chien de taille normale était un "Hond" ou un " Mupp" (au pluriel avec l'Umlaut on dit des Mip). Dans ma famille les deux mots étaient utilisés pour désigner notre braque. Un vrai braque. Mon oncle Ernest (Officier dans l'armée américaine et chasseur) l'avait découvert dans une famille allemande de la région de Bamberg. Le chien servait à réchauffer le lit conjugal. Mon oncle l'avait obtenu contre plusieurs fardes de cigarettes américaines, des Camel pour être tout à fait précis.


L'oncle était un peintre et, comme il aimait son chien, il décida de l'immortaliser. Ce chien a peut-être sali votre trottoir !


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Figure 010: Tilly La chienne de Monni Ernest. Monni est le diminutif de Mon Oncle ou mononcle.


Si vous marchiez dans une crotte, on vous conseillait d'aller immédiatement acheter un dixième de la Loterie "Coloniale" chez Breyer-Lussot, une librairie qui était à coté du magasin Cami, au pieds de la Breck (mais de l'autre côté de la rue). Le dixième ne coûtait que 11 francs. Si vous gagniez, vous ne receviez que le dixième de la somme. Le billet entier coûtait 100 franc (± 2,5 €). Le dixième était donc le billet populaire.


Chez Breyer-Lussot, nous achetions les albums de Spirou (65 francs) et mon père achetait "L'Avenir du Luxembourg" (un franc cinquante). La page nécrologique de cette gazette était aussi objective que celle de La Libre Belgique, ses faits divers et sa chronique des chiens crevés aussi d'ailleurs.


Mais revenons donc à nos chiens ... les chiens vivants ! Ces chiens étaient des "mélanges de promenades": ils étaient tous différents, comme les autos maintenant. Il servaient de jouets aux gosses de rue. Ce sont ces chiens qui étaient à la base de l'éducation sexuelle des enfants du quartier: pour s'éduquer, il suffisait de regarder. Ayant vu les chiens, les enfants comprenaient mieux ce que faisaient les parents le soir quand ils croyaient que les enfants dormaient. Je me demande si les enfants utilisaient eux aussi un seaux d'eau fraîche pour interrompre les ébats parentaux ...


"Les toutous à leur mémé" ne salissaient pas les rues, seulement la maison des mémés. La fille d'Ida la Rouge avait un de ces toutous: un de ces petits roquets blancs qui aboient tout le temps. Ma mère disait que c'était "un Mippi à sa Mémé". Normalement elle aurait du dire un Mip'tchen (comme dans Knip'tchen), mais comme je l'ai déjà dit, les arlonais aimaient la terminaison familière en i (sauf pour Knip'tchen). Le patois était aussi difficile à étudier que le français. Pour votre gouverne, un enfant qui mangeait salement était un sale petit Guissi (un sale petit cochon de lait) ou un Guiguisse.






Les pâtisseries de chez Beicht




De loin, mais alors de très loin on venait chez Beicht. C'était le meilleur pâtissier d'Arlon. Il faisait une crème Chantilly d'une légèreté sans pareille. Et ce qu'il vendait était toujours très fin. Il habitait dans la rue de la grand Place près de la papeterie de madame Walravens.


Ce qu'il vendait n'avait rien à voir avec les "machins gras" qu'on vous vend ailleurs en Belgique sous le nom de pâtisserie, il avait dû apprendre son métier à l'étranger. A sa compétence on devait ajouter sa gentillesse.


Il était diabétique et, malheureusement, il est mort très jeune.


En revenant de la messe le dimanche, les Arlonais venaient chez lui acheter les pâtisseries qu'ils avaient commandées la veille. Dans ma classe, il y avait un petit gourmand qui aimait les babas au rhum de chez Beicht. Ma mère faisait une excellente pâtisserie et nous n'allions chez Beicht que pour acheter de la crème Chantilly. Je me souviens de ses tartes aux cerises. Le lundi matin, Beicht vendait à très bas prix les invendus du dimanche. C'est ici qu'intervient la Het'chegas. Les gens de la Het'chegas achetaient la pâtisserie du lundi. Le lundi devenait donc pour eux un jour de fête !


La Het'chegas n'existe plus: on a foutu les pauvres à la rue. les maisons des pauvres ont été restaurées. Elles sont vendues très cher à des riches. Je suggère de supprimer le nom "Het'chegas", il pourrait nuire à la vente des nouveaux appartements. Si on disait Mont Saint Donat ou un autre truc "con" comme çà ... Sommes-nous à une connerie près ?