introduction (souvenirs)

Le Mahrt (le marché)
(un "h" derrière une voyelle, ah par exemple veut dire que cette voyelle est longue)





Quand j'étais gosse le jeudi était le jour de marché, le jour du journal de Tintin (le premier journal de Tintin date de septembre 1946) et un demi jour de congé. C'était le plus beau jour de la semaine.

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Figure 001: Le marché du Jeudi:
Le marché d'Arlon est un grand marché. On y vient de loin. Les badauds et les marchands y parlent français, patois, allemand, luxembourgeois, le wallon des villages d'à coté et parfois le flamand. C'est une illustration de la Tour de Babel ... La grande maison beige était un café "Le Puits Rouge". La Maison "Vogue" porte maintenant l'affiche JVC. On a aussi mis du béton pour dégueulasser l'endroit et dégoûter le touriste !

A Arlon se croisaient deux chaussées romaines, Reims-Trèves et Tongres-Metz. de plus c'est à Arlon que se rencontraient les bassins du Rhin et de la Meuse. Il y avait donc un marché où s'échangeaient des marchandise d'un peu partout. le vieil Arlon se trouvait au bas de le colline, dans la vallée de la Semois. les chaussés romaines se croisaient au niveau du tunnel SNCB.

Pour mes parents, le jeudi était une grosse journée. Dans la boutique familiale on vendait des semences, des grains, de l'engrais, des aliments pour le bétail, de la poterie ... Le jeudi était donc un jour très important, tous les agriculteurs de l'Arelerland venaient au marché à Arlon ! Mon père avait un grand agenda noir, qu'il achetait chez Breyer-Lussot dans la Groußgas. Il y notait les commandes qu'il devait conduire à domicile en camion. En effet, mon père allait chaque semaine de fermes en fermes dans l'Arelerland. Il avait un complice, l'Auguste Pesch, le marchand de charbon du coin de la rue de la Caserne (au coin, à votre gauche, quand vous regardez la rue qui descend, la rue qui descend s'appelle je crois la rue de Frassem). Il faisait sa tournée avec le camion "du Pesch". La maison "du" Pesch vient d'être rasée.

Jadis à Arlon il y avait beaucoup d'artisans et de marchands qui allaient de ferme en ferme: marchands de bestiaux, de grains, de chaussures ...). A Saint Hubert on appelle les arlonais "les Choumaques" (schumaker) parce que les cordonniers arlonais allaient de ferme en ferme fabriquer des chaussures et qu'ils parlaient allemand.

Le marché d'Arlon était un grand marché et on y venait donc de loin. Les badauds et les marchands y parlaient français, patois, allemand, luxembourgeois, le wallon des villages d'à coté et parfois ménapien (je ne les aime pas non plus, j'irai en enfer!). C'était pour moi une illustration de la Tour de Babel, dont on nous parlait à l'école (catholique, bien sûr).

Les vendeurs non arlonais venaient en train la veille et louaient une chambre pour la nuit chez notre voisin Welfring. Une partie de leur matériel était aussi conservée dans notre cave. Très tôt, de mon lit, j'entendais le bruit des barres de fer qui servaient à dresser les échoppes. Lorsque j'allais servir la messe vers 6:45 heures, les étals étaient presque terminés, les camelots y disposaient le contenu des valises qu'ils avaient amenées. Rien n'arrêtait les vendeurs, ni la neige ni les jours fériés: il y avait marché tous les jeudis !

Lorsque je rentrais à la maison pour déjeuner, Les clientes les plus matinales revenaient du marché, les "filets" (kueref, en dialecte) lourds de légumes et de fruits. Le mot Kuerefà, sans doute, la même origine latine que le mot allemand Korb, mais à Arlon Kueref ne signifie plus corbeille, mais filet à provisions. le "e" muet placé entre le r et le f est un exemple de svarabhakti (on trouve un autre exemple de ce phénomène linguistique dans Dueref qui a la même origine que Dorf). On voit que le o allemand est ici remplacé par ue arlonais. Ces mot sont donc bisyllabiques en arlonais, alors qu'en Luxembourgeois (actuel) ils sont monosyllabiques comme en allemand (Kuerf, Duerf et Korb, Dorf). Vous devriez lire, comme moi, la "Grammatik" d'Alfred Bertrang, c'est éducatif !

Pendant que nous étions à l'école, Les omnibus de Luxembourg et de Virton amenaient les gens du sud du Grand Duché (les "Moyenn's" et les "You'ha's") et du sud de l'Arelerland; les autobus ceux de l'ouest et le tram ceux du nord et de l'est.

Il y avait alors un tram. La gare du tram se trouvait en bas de la rue de Bastogne, en face de l'église Sainte Croix. Elle est devenue une gare de bus. C'était un tram à voie étroite et unique qui traversait bois et champs. Je l'ai connu avec traction vapeur puis diesel. Il venait de Martelange (Martel en dialecte) et amenait les gens de Parette (Part) , Heinstert, Nobressart, Attert... et aussi nos cousins paternels. Le tram appartenait à une société connue sous le nom de SNCV (Société Nationale des Chemins de Fer Vicinaux). Il a été remplacé par un ministre qui avait des intérêts dans la fabrications des bus.

Certains venaient dans leurs "tombreaux" tiré par un cheval... On enlevait le fumier, on passait vite-vite le véhicule au jet d'eau et il devenait le carrosse familial. Les princes locaux avaient souvent un parfum du terroir assez typé. C'est ainsi que le marché d'Arlon était, chose très rare, un marché parfumé au fumier.

Il y avait aussi quelques rares autos. Après la libération, le "Josi", un cousin de Parette avait acheté une "Dodge noire" à Anvers. Il amenait tous ceux de Parette qui venaient au marché.

Peut être y avait-il comme maintenant un autocar qui amenait les gens de l'Arelerland (région d'Arlon) Grand Ducal: pour annexer Arlon à la Belgique, au Congrès de Londres (1839) on avait '1989 coupé L'Arelerland en une partie belge et une partie grand-ducale. Il y avait toujours beaucoup de Grand Ducaux au marché. Le marché d'Arlon est une institution dont les origines remontent très loin, peut-être avant que l'on ne parle de "Belgique". Les frontières n'ont pas supprimés les habitudes des gens. Les frontières des uns ne sont pas toujours celles des autres.

Au marché d'Arlon, Les luxembourgeois du bassin du Rhin rencontraient les wallons du bassin de la Meuse.

Le jours de marché, même les quartiers chics se réveillaient. Telles la pierres tombales le vendredi Saint à Jérusalem, les portes des maisons bourgeoises s'ouvraient déversant les ressuscités sur la voie publique. (Je me demande parfois si je n'en rajoute pas un peu trop ! Récapitulons, je n'aime pas Paul Reuter, les ménapes et les libéraux du bas de la ville).

Les arlonais mangeaient des légumes frais tous les jours: à Arlon il y avait des "jardiniers". L' arlonais, confondait jardinier et maraîcher. Il y avait donc des maraîchers.

Les maraîchers habitaient au bas de la ville, là où il y avait de l'eau (Arlon est une colline sèche). Ils amenaient sur ce qui est maintenant la place Hollenfeltz deux ou trois paniers de légumes frais pour faire soit des soupes aux poireaux, des soupes vertes, des soupes au choux et de la purée d'épinards. On trouvait aussi les légumes de saison.

Une "grand-mère", bien emmitouflée vendait ces légumes et expliquait aux jeunes mariées comment les préparer. Cela se passait devant l'épicerie Klein-Brücher, (qui est devenue un café) et devant la boucherie Guirsh (devenue une pizzeria). De l'autre côté de la place, entre le magasin "Vogue" et le Café "au Puits Rouge", en juillet, des gamins vendaient des myrtilles de Stockem au litre. J'ai toujours préféré les petites myrtilles de chez nous aux "prunes" sans goût qu'on vend maintenant sous le nom de myrtilles.

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Figure 002: La Boulangerie Simonis la veille de la fête d'Arlon, les cuisinières amenaient les "platines" de tartes suspendues dans des linges a carreaux rouges et bleus chez Simonis, la boulangerie qui était au coin de la rue des Capucins et de la rue de la Grand Place. On va sans doute transformer cette maison en un nouveau "repousse-touristes".

On préparait des tartes aux myrtilles grandes comme des roues de vélo pour la fête d'Arlon (mois de juillet). La veille de la fête, les cuisinières amenaient les "platines" de tartes suspendues dans des linges a carreaux chez Simonis. Simonis était le boulanger au coin de la rue des Capucins et de la rue de la Grand Place. Il plaçait "les plarines" dans son four après avoir cuit le pain. La chaleur résiduelle suffisait pour cuire les tartes. Les cuisinières reprenaient les tartes vers midi. A Athus, lors de la fête, j'ai vu des défilés semblables vers la boulangerie Gremling, rue du Centre, les tartes n'étaient pas aux myrtilles, mais aux quetsches, la fêtes d'Athus est plus tardive (août).

Pendant les vacances, je pouvais accompagner ma mère au marché. Elle parlait un arlonais coupé d' athusien et me montrait la différence entre notre patois et celui des villageois du Grand Duché, les "Moyenn's", les "You'ha's" et les "Néhann's" (à Arlon on disait bechuer, yo et nén) . Les membres de ma famille avaient et ont encore un accent arlonais typique. Cet accent ressemblait à celui des vieilles personnes de Pallen, et d'Eischen ... Quand j'étais petit, au Grand duché, il y avait un patois par village (comme il y a un patois par village en Wallonie et en Flandres). Depuis on a unifié tout cela: il n'y a plu qu'un "luxembourgeois standard". c'est plus facile pour la radio, la télé, la communication et la politique. L'allemand pourrait avoir le même usage et en prime cela pourrait être utile. Les arlonais devraient étudier correctement l'allemand: mai le wallon d'Arlon est aussi flemmard que le wallon d'ailleurs.

Dans l'Arelerland, lorsque quelqu'un vous demande "kommst du mat, ech gin an d'Stad ?" (m'accompagne-tu, je vais en ville), c'est une invitation à aller à Arlon, au Grand Duché c'est une invitation à aller à Luxembourg-ville. Jadis Azlon (Arel) était l'autre ville luxembourgeoise.

Les centres d'intérêt de ma mère était différents des miens, elle recherchait des légumes, des fruits et des loques (Lompen). J'étais attiré par des choses plus originales.

Il y avait un noir au marché. C'était le seul noir en Belgique à cette époque. On connaissait peu les noirs. Après la guerre il y eut les noirs de l'armée américaine, mais les américains nous les "cachaient" et parfois ils les tuaient (je me souviens de cet officier américain qui avait tué un soldat noir parce qu'il dansait avec une athusienne, il n'y avait pas que les allemands qui étaient racistes.

Le Congo belge était encore une colonie, et les noirs, on disait alors les "nègres", ne pouvaient pas venir en Belgique. Si un colon faisait des enfants là-bas, il pouvait les ramener, mais il ne pouvait pas ramener la mère si elle était noire: à l'école on avait des copains séparés de leur mère. On nous vantait les bienfaits de la colonie, et on les a cru ... les salauds ! Qu'est ce qu'on faisait comme effort pour "les" civiliser (sic), nous disait-on. Je me demande si on continue à mentir de la même manière maintenant aux gosses: on ose peut-être leur dire que les belges sont allés au Congo pour se remplir les poches.

je dois cesser de dire la vérité !

La Belgique n'est-elle pas devenue pauvre lors de l'Indépendance du Congo ?

Le noir du marché venait sans doute de France. Il vendait du "carabouilla". Le carabouilla, ressemble au sucre candi, si ce n'est qu'il est noir, noir comme du charbon. Le brave "nègre" cassait le carabouilla à coup de marteau, un tout petit marteau noir avec un manche en bois vernis. A l'aide d'une petite pelle en aluminium, il mettait ensuite les morceaux dans des sachets tout blancs et les vendait, cinq francs le sachet.

Ma mère n'a jamais voulu m'acheter un sachet de carabouilla. Je pense qu'elle était un peu raciste: elle me disait que le "nègre" ne se lavait pas les mains; pourtant les petits sachets étaient blancs et propres sur la petite nappe blanche qui couvrait la table ...

J'ai trouvé récemment du carabouilla depuis et je dois vous dire que c'est très bon, ça goûte l'anis ...

Le marché se terminait vers treize heures.

Mon père allait vite à la banque déposer le pactole accumulé le matin, puis il rentrait à la maison. Les autres acteurs du marché allaient acheter des bijoux ou des montres chez Henrion, Deruette, Straus ou Goblet. Les épouses achetaient des pâtisseries chez Auspert, Gathy, Pomba, Beicht ... La bière coulait à flot au Puits Rouge ...

Les cousins venaient alors à la maison et il y avait un grand dîner familial. Le repas était suivi d'une longue conversation en allemand... Le repas retardait les devoirs et les leçons. On ne pouvait lire Tintin qu'après avoir fait les devoirs et étudié les leçons. Avant Tintin, inous lisions "Bravo" ... avec "Le Rayon U" d'Edgar P. Jacob.

C'était l'époque du "Secret de l'Espadon" et du "Temple du Soleil". On parlait de ces BDs le lendemain en descendant à l'école: nous imaginions la suite des histoires, suite qui paraîtrait la semaine suivante. Mon copain Michel Deviller dessinait des BD ...

A cette époque, il n'y avait ni TV ni jeux vidéos, mais je ne regrette rien ... ! On s'amusait tout autant !