Le "ß" se prononce ss. Les miens disaient Bottermahrt mais en réalité, ils auraient dû dire "Grouß Plaz". On vendait le beurre dans la rue du Bottermahrt. Souvenons-nous que "ah" signifie que le a est long (alors que, suivi de deux consonnes "rt" ou "tz"", il devrait être bref). Le "h" est donc nécéssaire. En arlonnais, le son a de Bottermahrt était long. le o de Botter est bref car suivi de deux consonnes.
Figure 001: La Grand-Pace avant 1936;
L'église Saint Martin de la Grand Rue fut démolie en 1936. La rue du Marché au Beurre débouche là où les gosses stationnent. La rue du Pont levi (Breck) est l rue sombre qui descend entre les deux maisons de droite. Le Restaurant Knopes était occupé par le tailleur Jungbluth puis par la quincaillerie des frères Schneidesch. On doit féliciter Knopes pour sa restauration ! Le double pylone derrière les enfants montre qu'il y avait déjà l'électricité. Toutefois les deux révèrbères fonctionnaient au gaz de ville.
Pour les habitants de la Het'chegas, la Grand Place était le Botermahrt (Marché au Beurre). Pour Alfred Bertrang en 1921, la Place était simplement "la Grand Place" (Grouß Platz). Comment faut-il donc nommer cet endroit: Botermahrt ou Grouß Platz ? Pour compliquer les choses, il y a une rue de la Grand Place et une rue du Marché au Beurre. Toutes deux mènent au même endroit.
Alfred Bertrang était instruit, il était aussi du cru. Il savait fort bien que les uns disaient Botermahrt et les autres Grand Place et il opta pour Grand Place. Il devait avoir une bonne raison !
Si la rue de la Grand Place mène à la Grand Place, la rue du Marché au Beurre faisait plus que de mener à la Grand Place. C'est là que se vendait le beurre, c'était donc là qu'était le marché au beurre. Au bout de la rue du Marché au Beurre se trouvait la Grand Place. Ainsi on se réconcilie avec Bertrang et on oublie le "Botermahrt" récemment affiché ou plutôt on met le plaque ailleurs. La Grouß Platz aurait été la seule place à l'intérieur des remparts de la ville du temps des remparts (dit-on, regardons le plan Ferraris de 1770).
A Arlon, on a toujours pris une très grande liberté avec les noms de lieux. Une Gas n'est pas une ruelle comme l'est une "Gasse" en Allemagne, en Autriche ou au Grand Duché de Luxembourg. A Arlon, une Gas est une rue. La Groußgas, c'est la Grand Rue, la Het'chegas c'est la rue de la Porte Neuve. Ce ne sont pas des ruelles ! A Arlon il y a un mot pour désigner une ruelle: "une Geisel".
Figure 002: Les arbres:
Maintenant, sur la Grand Place, on peut voir des arbres. Ils ne cachent rien, ils sont si haut.
Dans le quartier du Botermahrt il y avait des artisans et des commerçants. Il y avait une horlogerie (Goblet), des marchands de tissus (?), un tailleur (Kirsch) une mercerie (chez Mlle Müller, la "Joffer", comme nous disions), deux épiceries (Mme Taziaux puis Mme Kraft et Mme Claude, Mr Claude était facteur), deux cordonneries (Kirsch et Devillers), une papeterie (Walravens), des quincailleries (les frères Schneidesch et Hieronimus), deux boulangeries (Simonis et Reding), une pâtisserie (Beicht), une crémerie (les époux Willebroeck), un marchand de peinture et papiers peints (Desloges), un fourreur (Alaska), un taximan (Schumaker), un marchand de vêtements de travail (Santiquian), des cafetiers... et tout ceux que j'ai pu oublier (et j'en ai oubliés) ... Oú était la boucherie ?
Il y avait même une "supérette", l'Econopop, l'Economie Populaire, la coopérative catholique; la coopérative socialiste se trouvait dans la rue des Faubourgs, à droite en descendant, au niveau du buste de la reine Astrid ... J'oubliais qu'il y avait aussi une des deux entrées des magasins SARMA (ou NOPRI, je ne sais plus). Bref, la Grouß Plahtz était un était village assez autonome.
Maintenant la place n'est plus qu'un parc à autos. Les gens n'achètent qu'à Stockem ou à Pallen. Arlon est devenue une ville fantôme ...
Figure 003: La Grouß Plahtz jadis. Jadis il n'y avait pas d'arbre sur la Grand Place. Si vous examinez cette carte, vous voyez qu'il n'y avait pas de voitures non plus, mais il y avait de l'électricité et l'eau courante. Tous les drapeaux sont en berne ...Les stores qui protègent les vitrines du soleil sont baissés ... A quelle époque la photo a-t-elle été prise (la mort d'un roi ou d'une reine) ? Il y a des maisons sans volet, mais fort peu.
"La Ville", comme on appelait alors l'administration communale, décida de planter des arbres autour de la grand-place: Arlon était une ville d'arbres et de fleurs (maintenant c'est une ville de bagnoles); or il n'y avait pas de végétation au Botermahrt (regardez la carte postale). Pour attirer le touriste en ville, on plantait des arbres et repiquait des fleurs partout. "La Ville" n'avait pas encore remplacé le kiosque par la jungle actuelle. Si ce bel effort de plantation n'attira pas les visiteurs. Il aida mon père à payer mes études: mon père vendait en effet ce qu'il fallait pour entretenir ou pour détruire les arbres et les fleurs.
En plantant des arbres autour de la Grand Place, la "Ville" allait masquer les vitrines des commerçants de l'endroit ! La Ville semait la panique au Botermahrt !
Les vitrines du Botermahrt étaient la partie la plus importante des petits négoces: ne cherchez pas à l'intérieur ce qui ne se trouve pas en vitrine, disait-on. Masquer une vitrine tuait le négoce, or les arbres ...
Grâce à une administration publique imprévoyante, la ville tend à disparaître. Les élus ont scié la branche sur laquelle ils s'étaient cramponné.
Figure 004: Le Restaurant Knoppes et le Feu Follet.
Les commerçants auraient préféré que "la ville" installa des bancs publics, des bancs abrités, des bancs bien orientés, mais oui, pourquoi pas, orientés vers leurs vitrines: voilà une manière originale d'aider les petits indépendants ! Planter des arbres, il fallait être avocat pour avoir de pareilles idées (parmi les édiles communaux il y avait beaucoup d'avocats, sans cause disaient les mauvaises langues). A Wavre (aurait-on lu mon texte), la "Ville" a installé des bancs publics orientés vers les vitrines et a planté des arbres pour les abriter.
Les commerçants du Botermahrt avaient déjà réussi à débarrasser la Grand-Place du marché du jeudi (à cette époque le marché ne s'étendait plus sur la Grand-Place). Il fallait maintenant s'attaquer aux arbres.
Après force verres de quetsche, les commerçants "du Haut de la Ville" découvrirent comment attaquer le mal par les racines (sic). Ils vinrent chez mon père pour acheter chacun 25 kilos d'herbicide "total" (du Chlorate de soude "Herbisel" produit par l'UCB; ce produit attaquait les racines des plantes et donc celle du fléau). Le même soir, chacun vida son sac au pied de l'arbre qui cachait sa vitrine. Le tout fut abondamment arrosé pour hâter le processus.
Ce que vendait mon père était de bonne qualité: non seulement les arbres disparurent, mais disparurent aussi ceux que la "ville" repiqua par la suite pour les remplacer.
Maintenant la plupart des petits commerces ont disparu, ruinés (on achète à l'Hydrion), mais il y a des arbres ! Pour planter et maintenir des arbres, il suffisait d'attendre ou de provoquer la disparition des petits commerces !
La Ville a gagné. On peut enfin planter des arbres et étendre le marché sur le Botermahrt. On parle d'ailleurs de le rebaptiser en Minarinmahrt. Pour lutter contre le cholestérol "on a décidé" de remplacer le beurre par de la minarine ou quelque chose du genre (quelque chose qu'on ne produit pas dans l'Arelerland).
L'administration communale désirait peut-être que le Haut de la Ville devienne une "Ville morte", comme le bas de la ville. Elle désirait créer une ville dortoir pour les employés qui vont chaque matin travailler au Grand Duché. Un jour j'ai entendu des touristes dire "Ce devait être un quartier agréable, on devait être heureux ici !" Ils utilisaient l'imparfait !
Maintenant il faudrait un produit pour faire disparaître les autos ... Mais mon père est mort !
Juillet et août sont des mois torrides dans le haut de la ville. Non seulement il fait chaud, mais le vent ne circule pas dans les rues étroites qui descendent de la Knip'tchen. En été, la nuit, toutes les fenêtres sont donc ouvertes...
Une de ces nuits...
On entendit cette conversations:
" - Je ne "sais" pas dormir... as-tu déjà senti tes pieds ?"
Puis un peu plus tard:
" - Quand il fait si chaud, tu devrais te laver les pieds de temps en temps."
" - Mais chérie, je les ai encore lavés le mois dernier..."
" - Si tu ne vas pas tout de suite te laver les pieds, je change de chambre !"
Les voisins retenaient leur rires ... Soudain, il y eut un éclat général lorsque l'on entendit un robinet couler.
Non je ne vous dirai pas le nom de celui qui ne se lavait pas les pieds ! En été, à Arlon, lavez-vous les pieds... Ou fermez vos fenêtres !