introduction (souvenirs)

cléricalisme et anticléricalisme





a) le cléricalisme





Je fus enfant de choeur à Saint Donat entre 1943 et 1949. L'enfant de choeur est particulièrement bien placé pour parler du "cléricalisme".

J'ai connu plusieurs curés: le doyen Joseph Origer (mort au camps de Neuengamme avec le vicaire Feck et le RP Biot sj)), le chanoine Poncelet (qui le remplaça temporairement) et le curé Firmin Schmitz. Les vicaires qui m'ont marqués sont les abbés Hames, Müller et Lorgé. A Saint Martin, comme tous les arlonais j'aimais l'abbé Mathen, il était gentil et simple. Il est devenu doyen, puis évêque de Namur. Son successeur s'est moqué publiquement de lui ("sifflant la fin de la récréation" comme il avait dit à la radio). Je me demande si le Christ s'est jamais moqué de quelqu'un ! Naturellement, puisqu'il représente le Christ, il peut se permettre... D'ailleurs il est devenu Cardinal depuis. Il voulait devenir cardinal, mais la pape François a sans doute réfléchi ...

Beaucoup de "bons chrétiens" ont été éduqués dans les écoles communales, à l'école moyenne pour filles et à l'Athénée. Cela n'a jamais créé de problèmes entre les familles et le clergé local. Ainsi, Mon père, Mon oncle Tihange, ma tante, "le" Raymond Reuter sont des "bons chrétiens" formés dans ces institutions. Dans le passé il en fut aussi ainsi d'Alfred Bertrang, Godfroid Kurth.... Dans ces écoles ils ont appris à fréquenter des voisins qui ne pensaient pas comme eux. Ils sont devenus de bons citoyens.

Ma mère avait été formées chez les Chanoinesses du Saint Esprit (une école de religieuses françaises réfugiées en Belgique). Cette école se situait dans l'avenue Molitor, à peu près en face de l'étude de Maître Henri Bosseler.

La hiérarchie de l'école des frères Maristes et celle des soeurs de Notre Dame se trouvaient hors de la province, celle de l'Athénée et les écoles communales étaient par contre proches de la population locale. Ainsi, Alfred Bertrang était professeur d'allemand à l'athénée (il était docteur en philo et lettres), échevin (dans l'opposition), bienfaiteur et archéologue. Il eut une activité culturelle et sociale fort importante avant et surtout pendant la guerre. C'était une figure locale et un exemple à beaucoup de point de vue: même les collabos et l'ennemi avaient de la considération pour ce petit vieillard boitillant.

Comme, paraît-il, j'avais besoin de discipline, on m'a mis chez les frères, puis chez les Jésuites à Metz en France: pour la discipline, rien ne vaut un bon pensionnat jésuite. J'ai donc quitté Arlon en 1949. Je dois dire que la réputation de sévérité des Jésuites est drôlement surfaite: le collège était un endroit très sympa !

Mes frères et soeurs ont été placés soit à l'Athénée, soit au Lycée Royal de l'Etat pour filles. Et cela, a provoqué une réaction cléricale... une réaction qui montre l'esprit obtu de l'époque. C'est en effet alors que se concevait la guerre scolaire.

Le responsable de l'Enseignement Catholique pour la province de Luxembourg était le Chanoine P. (peut-être était-il inspecteur). C'était un prêtre "onctueux". Il n'était pas de l'Arelerland et ne parlait que le français (peut-être parlait-il aussi le flamand, inutile à Arlon). A l'église il se mettait dans le choeur, sur un prie Dieu de chanoine. Il portait la croix en argent de chanoine (pour être chanoine, il fallait pouvoir et vouloir se payer cette croix). Il ne parlait pas beaucoup aux autres prêtres qu'il considérait sans doute (c'est mon opinion) comme des paysans. Dans ma famille on l'appelait le "Chat Noir". Nous ne l'aimions pas !

Lorsque les allemands ont déporté le Doyen Origer et un de ses vicaires, le chanoine a été promu "doyen faisant fonction" en attendant la nomination de Firmin Schmitz. C'est à cette époque que le titre de Doyen a été transféré au curé Heck de la paroisse Saint Martin. Dans ma famille on trouvait que Heck était un ambitieux et nous ne l'aimions pas non plus. Les paroissiens de Saint Martin étaient "plus distingués", avaient de "vraies positions sociales" et ils parlaient la langue du chanoine, une langue convenable, pas un patois boche. L'abbé Firmin Schmitz, était l'un des treize enfants d'un fermier germanophone de Post (petit village près d'Attert). Il succéda officiellement à Origer lorsque l'on apprit qu'il était mort en captivité. Origer était aussi un fils de fermier germanophone, mais de Frassem, un petit village près d'Arlon. A Saint Donat, les prêtres étaient des "paysans", ils s'occupaient de JOC, MOC, parlaient allemand et ils allaient voir les match de foot chez les socialistes ! Pour ne rien cacher, Firmin Schmitz avait même un fort accent du terroir... !

Le chanoine ne venait jamais dans notre magasin. Il envoyait sa servante pour acheter ses produits de jardinage. Un jour il vint cependant. Ce jour là, il menaça mes parents des pires tourments célestes parce qu'ils avaient mis mes soeurs à l'école des "sans-Dieu". Dans une école dans les classes de laquelle on avait retiré les crucifix... Bref au Lycée Royal de l'Etat, rue de Sesselich. (Cet établissement est devenu maintenant l'athénée).

Mes parents ont réagi très violemment et je pense même qu'ils ont proprement mis le chanoine à la porte. Cet épisode n'altéra en rien les bonnes relations que mon père entretenait avec le clergé de la paroisse. Le chanoine méprisait ce clergé . Je me demande même, et c'est une opinion toute personnelle, si les prêtres de la paroisse ne se réjouissaient pas de la réaction de mon père. C'est en effet vers cette époque que le curé Schmitz demanda à mon père de devenir trésorier de la fabrique d'église.

Enfant de choeur, je "servais" plusieurs messes le dimanche. J'entendais donc à plusieurs reprises les lettres "pastorales" de Mgr Charrue, évêque de Namur. Les lettres commençaient ainsi:

"Au Clergé et aux Fidèles de notre diocèse, Salut et Bénédiction en Notre Seigneur Jésus Christ !
Nous..." La lettre se terminait par:
"André Marie, Evêque de Namur. Cette lettre sera lue à toutes les messes du dimanche (la date) dans toutes les églises et chapelles de notre diocèse."

L'objet de ces lettres était toujours politique (c'est ça le cléricalisme).

Les lettre préélectorales rappelaient que ceux qui votaient pour le parti communiste étaient excommuniés (les vilains!). Elles précisaient que les chrétiens ne devaient pas voter pour les partis qui combattent la religion et l'enseignement catholique ou pour les partis qui prônent l'enseignement de l'état, soit les socialistes et les libéraux. Le seul bon parti était donc le parti social chrétien, le PSC (il n'y avait pas de verts à l'époque, du moins des verts comme cela). Naturellement n'étaient pas excommuniés les nazis, fasciste, capitalistes ... et autres idéologies ...

Les lettres de fin de vacances rappelaient que les enfants chrétiens devaient aller dans des écoles chrétiennes. Il n'y avait pas encore de vraie guerre scolaire, mais on plaçait déjà ses pions.

Comme disait un prêtre à l'époque, quand on ne croit pas à la toute puissance de Dieu on invente le cléricalisme pour l'aider ! Et de fait, que ferait donc Dieu sans la toute puissance des hommes ...

Mgr André Marie Charrue a été remplacé par Mgr Mathen. Il a lui-même été remplacé par Mgr Léonard. S'il a un sifflet, l'évêque qui succédera à Mgr Léonard le mettra en poche, Dieu n'a pas besoin de pion ni pour surveiller la récréation ni pour en siffler la fin. Le Pape place aussi ses pions, Léonard a été promu archevêque par Benoit ... et un long chiffre.

Un jour, racontait Joseph Labranche dans sa cordonnerie, les gendarmes sont venus chez l'abbé Mathen. Ils avaient trouvé son vélo à la Spetz (un vrai vélo noir de curé, avec frein torpédo et tout et tout). L'abbé Mathen les a remerciés;. Les gendarmes lui ont alors fait remarquer qu'on avait volé son vélo et qu'il devait porter plainte. L'abbé a répondu que quelqu'un qui en avait plus besoin que lui avait emprunté son vélo et qu'il était heureux que le vélo ait pu lui être utile. Bien sûr, l'abbé Mathen ... celui-ci a du lire un vieux truc ... l'évangile.





b) l'anticléricalisme





Au cléricalisme stupide s'opposait un anticléricalisme tout aussi stupide. J'habitais 14 rue des Capucins, c'était à côté du Coin Bleu (le café libéral, 16 rue des Capucins) et quand il faisait chaud, le café ouvrait ses portes et j'ouvrais mes fenêtres. On entendait des conversations d'une haute intellectualité, dignes de "Clochemerle"...

Ce jour-là j'étais à la sacristie de Saint Donat pour servir les vêpres ou le salut (je ne sais vraiment plus). Entrent alors le curé Schmitz et deux vicaires (les abbés Müller et Hames) qui devaient l'aider à officier:

"Choisir un dimanche et l'heure (des vêpres ou du salut...) pour inaugurer le buste de Paul Reuter est une véritable provocation" dit le curé. "En effet," dit l'un des vicaires. "on dit en ville que Reuter assistera lui-même à l'inauguration". Et le curé de renchérir, "à moins de 100 mètres du lieu ou deux prêtres de notre paroisse ont été arrêté par les allemands (les deux prêtres sont d'ailleurs morts au camp de concentration de Neuengamme).

La "viele" harmonie municipale couvrait la musique de l'orgue et les chants du pauvre monsieur Pfeiffer. La Viele Harmonie jouait "la petite Marie" ou un truc du même genre qui couvrait le "Tamtum Ergo" de l'organiste !

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Figure 001: Le buste de Paul Reuter:
La fenêtre de la chambre à coucher du curé est proche du buste. C'est là que, le 25 aout 1944, dormait le curé-doyen Joseph Origer la nuit où les NAZIS l'ont arrêté pour l'emmener au camp de Neuengamme où il est mort.

Paul Reuter était le bourgmestre libéral. Le lieu et l'heure de l'inauguration avaient été choisi pour "faire maronner" le clergé catholique. Donc, ne pensez surtout pas qu'on a placé ce buste près de l'église parce que Reuter était enfant de Marie ... On l'avait placé près des curés, c'est pour mieux les bouffer !

Vous ne savez pas pourquoi on a moulé un bronze en l'honneur de Paul Reuter, pourquoi on lui a consacré une rue. Vous n'étiez sans doute pas nés. Mais moi qui était né je ne sais pas non plus pourquoi. Il y a beaucoup de choses qu'on ignore ... Je me demande si le bronze n'eut pas été plus utile pour la restauration des cloches du carillon !

Les vrais héros, ceux que les boches ont abattus dans les rues, dans les bois ou tué dans les camps n'ont pas de bronze alors que Reuter a assisté vivant à l'inauguration du sien. Quand les boches lui ont dit de se retirer, il est rentré chez lui attendant la libération pour revenir à l'Hôtel de Ville ... A cette époque, le Gouverneur (Monsieur Greindel) faisant fonction avait déjà été assassiné par les nazis.

Les anticléricaux se nourrissait de curé tout l'année, mais ils avaient une activité plus spécifique le Vendredi Saint: ils bouffaient de la viande, rien que de la viande, énormément de viande. Il faisaient cette grande bouffe, pour bien affirmer leurs convictions. ils commençaient la grande bouffe avant le Chemin de Croix pour s'afficher devant celles qui allaient vers l'église. Mais voilà, l'un d'eux avala sa prothèse et s'étrangla. Il fut enterré civilement avec la philharmonie et moult discours éplorés, dans le genre: "Mon cher X, vendredi encore tu partageais nos joyeuses agapes ..."

Les gens virent là un châtiment divin mérité par le pécheur. Le curé parla de la grande miséricorde de Dieu. Mon père me dit "tu vois ce qui arrive quand on mange trop vite ..." En fait, je pense que si vous voulez vous livrer à ce genre d'exercices, il vous faut des implants. C'est un rien plus cher, mais cela reste en place.