Nous avions une grande "lessiveuse": une grande "bassine" (cuve) circulaire. Haute de un mètre , elle avait un diamètre de soixante centimètres (calculez son volume et le poids de l'eau qu'elle contient quand elle est pleine à 80%). Elle était en fer galvanisé comme les seaux de l'époque. Elle possédait deux poignées, une pour mon père et l'autre pour ma mère: la lessive était une activité de couple. Elle pesait de tout son poids sur la cuisinière "Ciney".
Ma grand mère paternelle confondait galvanisé et cristallisé et c'est normal: elle quittait sa quincaillerie pour aller à la cuisine préparer ses confitures, passant des seaux galvanisés au sucre cristallisé: "galvanisierde Socker". Elle était de Parette, un petit village où les gens se posent moins de problème fondamentaux qu'en ville.
Dans la lessiveuse on plaçait une seconde pièce, galvanisée elle aussi. La pièce amovible était constituée de deux cercles. Les deux cercles étaient distants de 5 cm: ainsi le linge ne pouvait "attacher" au fond de la cuve. Au centre de ces cercles on adaptait un tuyau terminé en haut par un pommeau. Quand la lessive bouillait, l'eau savonneuse "percolait" par le pommeau (un peu comme le café dans certaines cafetières italiennes). Les cercles amovibles étaient percés de trous d'environs 3 cm de diamètre. Les deux cercles étaient couverts de calcaire. Comme vous le voyez il y avait déjà de la technique à cette époque. Le problème est de savoir si la lessiveuse a précédé le percolateur à café. On devrait demander cela à un historien.
On plaçait le linge dans la cuve, puis on couvrait avec de l'eau et du savon Hanco ou Persil. Je sais que Persil vient de perborate et silicate (c'est un produit Henckel: c'est beau la culture !), mais pour Hanco il faudra repasser, j'ai beau tripoter Google, je ne trouve pas.
Mes parents plaçaient ensuite la lessiveuse sur la "cuisinière" et faisaient bouillir le tout. Les cuisinières de l'époque étaient solides et résistaient au poids (à propos, avez-vous fait le calcul de ce poids ?). . Je ne sais pas combien de temps durait l'ébullition: j'ai reçu ma première montre pour ma communion solennelle, en 1948, or mon père avait déjà changé de système.
Après une "longue" ébullition, on laissait refroidir la lessiveuse puis mes parents la portaient dans la cour, un parent par poignée, et versaient l'eau savonneuse tiède dans l'égout (Hé oui, mais c'était l'époque où l'on refroidissait la planète). Ils retenaient le linge avec un bâton: un manche de brosse réaffecté. S'il restait des saletés, on utilisait une planche et une brosse dure en chiendent. On rinçait le linge pour éliminer les crasses et la mousse. Le linge blanc était rincé avec un cube de Reckitt bleu. On tordait le linge à la main puis on le séchait. Ces manipulations s'effectuaient dans une grande bassine elliptique à deux poignées (galvanisée elle aussi). Après la lessive, on avait les mains rouges et ridées !
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Les blocs de Reckitt étaient contenus dans des petits filets que l'on plongeait dans l'eau de rinçage. C'étaient des blocks bleu. Le bleu Reckitt ajoutait l'éclat à la blancheur.
Mon père acheta ensuite une énorme lessiveuse plus moderne chez ses amis, les frères Schneidesch au Botermahrt. Souvenez-vous que leur quincaillerie est devenue le restaurant Knopes. Je préfère et de loin la cuisine de chez Knopes à la quincaillerie, malheureusement Knopes n'était pas encore né.
Cette nouvelle lessiveuse était une grande cuve avec un malaxeur central actionné par une roue-manivelle: un peu comme celle du hache paille des Dupond et Dupont dans le "Trésor de Rackam Le Rouge". Sous la cuve, il y avait un endroit pour faire du feux. Mon père y faisait un feu de bois. Je ne sais plus comment il ajoutait l'eau. Les parents utilisaient toujours Hanco ou Persil: les savons de l'époque. Ces savons ajoutaient déjà l'éclat à la blancheur. En publicité, on invente rien, on recycle !
Rapidement mon père acheta un moteur électrique, toujours chez les frères Schneidesch. Le moteur faisait tourner la manivelle à l'aide d'une courroie (qu'il fallait graisser avec de la graisse solide contenue dans un cylindre en carton). Mon père ne ressemblait donc plus aux deux Duponds. (A cette époque, on se référait aux albums de Tintin. C'était notre télé).
La lessiveuse mécanique n'avait qu'une roue. Mon père avait placé un moteur électrique sur une planche et la roue était mise en marche par une courroie. On suait moins que les Duponds, mais Dieu, qu'est-ce qu'on recevait comme décharges !
Mon père acheta ensuite, toujours chez Schneidesch, une centrifuge (je dis "acheta", mais je crois que "se fit fabriquer" serait plus adéquat). Cette centrifuge était constituée de deux cylindres en cuivre concentriques et d'un moteur capable de faire tourner le cylindre central à 3500 tour/minute. Le cylindre externe ne tournait pas. Le cylindre central était perforé d'une multitude de trous. Ce cylindre devait contenir le linge mouillé. quand le moteur tournait, l'au s'écoulait par les trous dans le second cylindre: ce cylindre rejetait l'eau dans les égouts. C'était à la fois simple et bruyant.
La centrifuge était boulonnée très profondément dans le sol, par des vis de 25 cm de long. Ceci empêchait l'ensemble de bouger ! De temps à autres, il fallait, soit, resserrer les écrous, car ça bougeait quand même un peu, soit, re-cimenter pour bien assujettir les boulons. Les Schneidesch et mon père étaient très bricoleurs et bien équipés ! Je pense que quand ils étaient gosses, ils devaient effrayer leurs parents.
Mon père mettait le linge dans le cylindre intérieur, celui à trous, puis à l'aide d'un interrupteur il mettait le moteur de la centrifuge en marche. Le cylindre tournait à 3000 tours par minutes. L'eau coulait dans le cylindre hermétique. Par une petite ouverture elle s'écoulait dans l'égout.
Mon père s'appuyait de toutes ses forces sur la centrifuge pour l'empêcher de vibrer et à la longue de se détacher du sol. Il n'y avait pas de couvercles. L'outil était dangereux à manipuler. Comme il y avait beaucoup d'eau dans le secteur, on recevait parfois de solides décharges. Le moteur de la centrifuge était sous les cylindre et n'avait pas de protections. A l'époque on ne se souciait que fort peu de la sécurité.
Malgré le danger on utilisait le monstre. Il était très efficace et évitait le rude travail qui consistait à tordre les draps d'un lit de deux personnes par exemple.
Après la centrifugation, on rinçait le linge, puis on le centrifugeait à nouveau. Grâce à la centrifuge, le linge ne devait plus être tordu, on pouvait de suite le mettre à sécher. En été, on le séchait sur des fils tendus dans une cour. En hiver, on pendait le linge sur des fils tendus au grenier. Le grenier étant un endroit poussiéreux et sale, il ne fallait donc pas laisser tomber le linge au sol. Laisser tomber le linge au sol était ma spécialité: nous formions une éauipe qui utilisaient toutes ses capacités.
Le repassage se faisait avec des fers à repasser en fonte que l'on chauffait sur la cuisinière et que l'on manipulait avec une poignée pour ne pas se brûler. Les gens très riches avaient des fers électriques. Les fers électriques brûlaient mieux les tables et parfois ils passaient au travers, mais chez les riches cela ne posait aucun problèmes. Il ne fallait pas distraire les épouses qui repassaient.
Il n'y avait qu'une seule température de chauffe: on commençait toujours "très chaud". On se posait peu de problèmes de température: à cette époque, il n'y avait que des cotonnades et du lin (il n'y avait pas de soieries dans la Hetchegas).
Ma mère avait un jeu de quatre fers. Dès que le fer qu'elle utilisait lui paraissait froid, elle en prenait un des trois autres qui chauffaient sur la cuisinière. Elle utilisait ses joues comme thermostat, approchant le fer de ses joues, elle en évaluait la chaleur. Je suis sûr que les écologistes se délectent en lisant cela. Imaginez l'écologiste qui apprend aux jeune filles comment utiliser leurs joues ... comme thermostat ! Un cours de préparation au mariage vert.
Le repassage se faisait sur la table de la cuisine. Ma mère repassait sur une vielle couverture recouverte d'un drap. Il y avait des brûlures sur le drap. Les brûlures ne mettaient pas en cause la qualité du Thermostat, elles indiquaient que ma mère avait "vite" déposer le fer sur le drap pour se rendre dare dare au magasin: ma mère travaillait en attendant le client ... mais elle ne le faisait pas attendre. Chaque brûlure correspondait à un client très bavard ...
On rangeait le linge dans de grandes et belles armoires en chêne. Chaque printemps, durant le Grand Nettoyage, on cirait ces armoires et on renouvelait les boules de naphtaline. Ces boules devaient écarter les mites (et pas les mythes)
Les draps étaient en lin.
Un jour, avec mes cousins d'Athus, nous avons joué au grenier avec les draps propres et repassés (huit draps !). Notre grenier était un endroit très poussiéreux et sale. J'avais déjà tenté de le nettoyer avec notre "mop O' cedar". Au lieu de me féliciter, ma mère me donna une bonne fessée. Je ne sais pas ce qu'est devenu le mop, il était si triste à voir, et acheter un nouvrau mop pendant la guerre ! Dans ma famille les enfants ne lisaient pas les aventures de Quick et Flupke, ils en écrivaient les scénarios.
Au grenier, recouverts de draps propres nous avons joué aux fantômes "Zouzou, fuyez mortels ..." (c'est tiré d'une BD de l'époque) Nous avions réellement peur les uns des autres. Nous nous sauvions tombant dans les draps et les couvrant davantage de poussière. Cela s'est terminé en fessées familiales: chaque couple de parents fessant les siens (nous étions huit). Nous clouions aussi les draps sur les chaises du salon pour faire des tentes comme les bédouins. Ce jeu-là aussi s'est mal terminé. Les parents ne nous privaient pas de dessert les desserts était rares alors: ils préféraient la manière forte. Une bonne fessée c'est sain et ça active la circulation des parents et la nôtre.
Je me demande si ce que j'écris est vraiment sain pour les gosses. J'espère que mes enfants ne ...