Dans les années quarantes il n'y avait pas de télévision. La majorité des parents d'Arlon n'avait pas d'auto. Les enfants allaient le jeudi après midi au cinéma Palace, Place Didier, voir les films de Zorro ou de Laurel et Hardy. Dans ma famille, en plus, on faisait le dimanche une grande promenade dans les environs d'Arlon. C'était sain ! Les promenades dominicales avaient toujours un objectif culturel. On allait voir quelque chose et souvent quelque chose d'éloigné. Le but était plus la promenade que la chose à voir: il fallait aérer les gosses et les faire marcher loin et longtemps ... Le "Tour des Routes", était la promenade des bobonnes et ceux du bas de la ville.
Ce jour-là, nous nous sommes retrouvés mon père et moi devant une énorme pierre, parcourue de "rigoles" qui descendaient du haut de la pierre vers le sol. La chose à voir éveillait ma curiosité. Mon père n'a donné aucun nom à la pierre: peut-être n'était-il pas d'accord avec le nom, peut-être pensait-il que le noms devait être celte et pas germanique !
J'ai demandé à mon père à quoi servait cette pierre.
Il m'a répondu qu'elle servit "sans doute" d'autel sur lequel les "druides" sacrifiaient jadis des boeufs. Le sang coulait sur le sol canalisé par les rigoles. Selon lui, ce sang abreuvait la déesse Terre. Pourquoi mon père parla-t-il de druides et pas de Teutons ?
Ce qu'il m'a raconté était sans doute la version de l'histoire qui avait cours à cette époque. Au lieu de dire "la déesse Terre", on dirait aujourd'hui "notre Planète". "Faisons quelque chose pour la "Planète" diraient les nouveaux druides. A cette époque on nourissait la planète avec du sang de boeuf.
Pour mon père qui était une bon chrétien la déesse Terre devait être une femme de l'Enfer (Hollefra, Höllefrau), une copine du diable.
La pierre était dans les bois, pour la visiter, mon père ne demanda d'autorisation à personne. Il était très respectueux de la propriété d'autrui et ne se serait jamais aventuré dans une propriété privée. La pierre était donc alors dans un endroit accessible au public ! L'est-elle encore ou bien quelqu'un se l'est-il appropriée ?
Sont-ce des clients de Viville qui ont indiqué l'endroit à mon paternel ? Mon père était un commerçant arlonais qui vendait chaque semaine des produits agricoles de fermes en fermes. Il voyageait avec le camion de l'Auguste Pesch et les vieux se souviennent encore de leurs passages. "Ugeaine" auraient-ils dit "t'as déjà montré la Hollefrasteng à tes gosses ?" Mon père connaissait aussi Alfred Bertrang, dont il avait été l'élève à l'Athénée d'Arlon. Souvent ils discutaient du Folklore local . Alfred Bertrang et mon père ont ensemble retirés d'une de nos caves (1936), les monuments dont les copies décorent une stèle dans la Groußgas.
Il est donc possible que nous ayons visité la Hollefrasteng sur les conseils d'Alfred Bertrang. Il a sans doute dit à mon père "montre ça à tes gosses" en lui expliquant ce qu'il y avait à voir.
Mon père a aissi lu le "Wintergrün" de Nicolas Warker qui à reproduit plusieurs légendes en allemand sur la Hollefra, les numéros 68 et 69 de son livre. Ces légendes ont été traduites en français par André Neubourg (du Musée Piconrue de Bastogne). Nicolas Warker était professeur d'allemand à l'Athénée d'Arlon. Il discute la signification de Holle Fra, références à l'appui.
Plus loin, vous trouverez deux pages de l'original de "Wintergrün". Ainsi vous verrez qu'à Arlon on imprimait des livres en allemand et si on les vendait, c'est parce qu'on les achetait (les imprimeurs ne sont pas des philanthropes). Les arlonais parlaient donc allemand, en plus du patois ! En allemand, Viville se dit Altenhoven et Lichert, Licher, Freylange Frehlingen ...
Figure 001: Wintergrün
Hollefrasteng.
Figure 002: Wintergrün
Hollefrasteng
Figure 001: trouvé dans nos caves
Hollefrasteng.
Holle ne veut pas dire trou. Un trou à Arlon et au Grand Duché de Luxembourg se dit "eng Lach" (maintenant à Arlon on ne parle plus que le français, et quel français !). En anglais, Hölle se dit hell et pas hole (le o de hole est un o long; comme dans le verbe allemand höhlen, faire un trou, le o de holl est bref). Si vous avez lu le Secret de l'Espadon, vous savez que hell veut dire enfer ! Maintenant si vous êtes des érudits, les Frères Grimm ont aussi écrit un texte sur la Hollefrau.
Hollenfeltz veut dire la falaise de l'Enfer et non le trou dans la falaise, Felzholen ! (ni, comme certains le pensent et l'écrivent: la falaise creuse). Dans la région d'Arlon holle est très répandu: Hollenfeltz, Hollerich, Hollange ... Il y a eu un Bourgmestre d'Arlon qui a porté le nom de Hollenfeltz ! Hollenfeltz est entre Arlon et Mersch, un village avec un château !