Dans la plupart des maisons il y avait dans la cuisine ce que l'on appelait "une cuisinière". Chez nous c'était une cuisinière en fonte "Ciney". Le haut de la cuisinière était recouvert d'un large rectangle en fonte noire perforé de trois trous. Le trou central était plus large que les autres. Chaque trou était fermé d'un couvercle à rondelle (des couronnes), en fonte. En enlevant le couvercle et l'une ou plusieurs rondelles on pouvait ajuster le trou pour mettre la casserole ou la poêle en contact direct avec la flamme, ce qui permettait de mieux chauffer (et de mieux salir aussi) la casserole. Pour nettoyer la plaque on utilisait un chiffon et du "Sidol". Quand il fallait faire bouillir le linge de la lessive, on plaçait la lourde "lessiveuse" sur la cuisinière. On chauffait aussi des fers à repasser sur la cuisinière. Les dames y chauffaient les fers à friser. On pouvait même placer un fer à gaufres sur la flame nue ... On commençait les gaufres tôt le matin, cela prenait du temps ! Mais c'était bon !
Sur la plaque, il y avait en permanence la bouilloire avec de l'eau chaude prête à l' emploi. Le matin mon père y plaçait la cafetière. Pendant la guerre il n'y avait pas de café et l'on buvait de la chicorée. Après la guerre, on ajoutait un peu de café à la chicorée. Dans la cafetière il y avait une chaussette dans laquelle on introduisait la chicorée. On ajoutait progressivement l'eau de la bouilloire et on laissait infuser. En fin de matinée, le breuvage était épuisé et on rinçait la cafetière. Je n'ai jamais beaucoup aimé ce café.
Sur la cuisinière on faisait aussi bouillir le lait. Chaque matin on allait à la ferme chercher le lait au moment de la traite des vaches. Nous allions à une ferme à la plaine des manoeuvres; plus tard nous sommes allés à une autre ferme dans le bas de la rue de Diekirch, un peu avant le cimetière. On faisait bouillir le lait avant de le boire. Il fallait surveiller l'ébullition pour retirer le lait du feu avant qu'il ne passe au dessus de la casserole. Il passait souvent au dessus du récipient, salissant la taque. Heureusement il y avait le Sidol ! Le lait en bouteille est une invention plus tardive (Avant de donner le lait au bébé il faut le faire bouillir, le lait bien sûr !)
Chez les riches, et nous devions l'être, la cafetière et la bouilloire étaient émaillées. Chez les pauvres, elles étaient en aluminium. Chez nous il y avait même deux cafetières émaillées, un brune et une bleue: étions-nous très riche ?
A droite de la cuisinière il y avait une barre à laquelle on pendait les linges servant à essuyer la vaisselle et les mains. A gauche il y avait une autre barre qui servait à suspendre des outils tels que le tisonnier et la petite pelle à charbon. Quand on rentrait à la maison, on tisonnait le feu. Les cuisinière coûteuses avaient un "carburateur" qui permettait de régler l'arrivée d'air. Notre cuisinière était coûteuse.
Par la face antérieure de la cuisinière, on accédait à deux ou quatre fours fermés par des "portes" basculantes. Ma mère n'aimait pas utiliser ces fours pour cuire les tartes, elle les utilisait pour sécher les poires.
Une bonne cuisinière chauffait toute la maison. Elle était en effet connectée à une volumineuse cheminée qui chauffait les chambres à l'étage. Lorsque je dis chauffer, j'utilise un bien grand mot ... Une bonne bouillotte en zinc ... ça chauffait mieux !
A Arlon, il y avait une cokerie. On l'appelait "l'Usine à Gaz". L'usine à gaz se trouvait le long de la ligne de chemin de fer, au delà du pont de Schoppach à droite, vers Stockem. Elle se trouvait le long du chemin de fer car il lui fallait du charbon et que le charbon venait en train. L'usine produisait aussi du coke lequel devait aussi être transporté en train. Pendant la guerre, le coke allait dans les usines de l'occupant, vous savez, ces usines que l'on bombardait. Achille Schockert était ouvrier à l'usine à gaz. (il est mort à Neuengamme, il habitait la Het'chegas).
Les allemands étaient en guerre et utilisaient notre coke pour leurs fonderies. Ils ne pouvaient pas transporter le gaz et donc, même pendant les pires époques de la guerre, les arlonais avaient du gaz. Notre maison possédait le chauffage central depuis les années vingt. Pendant la guerre, "le" Putz (un copain du paternel) avait installé un brûleur à gaz dans notre chaudière, on put ainsi passer du charbon au gaz et avoir toujours bien chaud. Mon père aimait les maisons chaudes, moi aussi !
"Le" Putz était le plombier du quartier. La maison dans laquelle il habitait n'a pas changé. C'est le petit magasin au coin que fait la rue des Capucins avec la ruelle de la Concorde. Elle fait le coin de la Place Camille Cerf (voir photo, c'est la deuxième maison à gauche: un ancien "magasin").
Après la guerre, nous sommes repassés du gaz au charbon, toujours à l'aide "du" Putz.
Figure 001: La maison du PutzDans la rue des Capucins, face à la place Camille Cerf
Le gaz alimentait aussi les cuisinières à gaz. Nous en avions une, une Ciney elle aussi. Il y avait une plaque émaillée blanche (la taque) perforée pour laisser surgir quatre brûleurs. La pression du gaz était réglée (un bien grand mot) par un gazomètre. On payait le gaz au mètre cube (et pas au mètre), il valait donc mieux le consommer quand la pression était élevée (P1 x V1 = P2 x V2).
Ma mère était une excellente cuisinière. Elle préparait tartes et gâteaux. Pour cuire les pâtes à tarte, elle préférait utiliser le four au gaz au fours de la cuisinière à charbon.
C'était l'époque des bouillottes. La plupart des maisons n'avaient pas de chauffage dans les chambres à coucher, et en hiver il faisait souvent fort froid. Chez ma grand-mère maternelle à Athus, il n'y avait pas de chauffage central. On avait des bouillottes. J'aimais bien les bouillottes en tôle. On les remplissait d'eau bouillante et on les plaçait dans le lit au niveau des pieds. Les bouillottes en caoutchouc me semblaient moins chaudes, et en plus elles fuitaient !
Le salon et les chambres à coucher étaient parfois chauffées avec des "feux continus". Comme je n'en ai jamais utilisés, je ne sais pas comment ils fonctionnaient.
A l'école, chez les frères, les classes étaient chauffés avec des poêles cylindriques noirs que préparaient et entretenaient les instituteurs. C'était du temps où les instituteurs ne faisaient pas grève et où les élèves n'étaient pas les cancres que l'on nous produit actuellement.
Auguste Pesch était marchand de charbon (le Kuel , comme on disait en patois arlonais). Il circulait en ville avec son Camion. Quand le clent le demandait, il lui amenait un camion de charbon. Il déversait la benne devant la maison. Le proprétaire n'avait plus qu'a pelleter le charbon dans sa cave. Mais la plupart du temps, il fournissait des sacs de charbons que les arlonnais plaçaient das la cave. Quand le sac était vide, on téléphonait simplement à la femme du Pesch.
Le Pesch était donc marié, il avait une fille (si mes souvenirs sont bons) comme il était très imposant, je ne me souviens surtout de lui. C'était un copain de mon père: ils ont fait ensemble la tournée des grands ducs, avant leur mariage, bien sûr. Après le mariage ils sont devenus tous deux très respectables: ils allaient à la grand messe le dimanche matin, ce qui était un signe de respectabilité dans les petites ville.
Figure 001: L'entrée d'une cave à charbon
On ouvrait les deux portes verticales, puis les deux portes horizontales, on accédait ainsi à l'escalier de la cave
A leurs heures creuses, le Pesch et mon père allaient de ferme en ferme, dans tous les villages de l'Arelerland amener le grain et la nourriture pour les animaux. Je ne sais pas pourquoi l'occupant (c'est un mot bien doux) n'avait pas réquisitionné le camion du Pesch. Ne pensez pas que le Pesch fut un collaborateur, loin de là, mais il avait quand même conservé son camion.
Mon père achetait le son et le blé "au Moulin d'Arlon". Il achetait aussi d'autres produits dans d'autres villes et pour cela il allait à la gare de marchandise "chez Siebenaler". Souvent cela se faisait avec le camion du Pesch.
Parfois, les colis de la gare était amené à domicile par un chariot tiré par deux solides chevaux ardennais. Le chariot était bâché et peint en vert; il portaient le B du chemin de fer. Le chariot et les chevaux appartenaient à la firme "Siebenaler". Lorsque les chevaux attendaient trop longtemps devant notre porte, ils déchargeaient des jolis petits crottins noirs et fumants qui faisaient la joie des moineaux de la rue. Hé oui, les chevaux nourrissaient les oiseaux ! Les gaz d'échappement des camions sont moins nutritifs.
Pour commencer un feu, il faut du papier et du bois. Des journaux comme "La Meuse", "L'Avenir du Luxembourg" et "les Nouvelles" ont servi à initier bien des feux à Arlon.
Le bois venait de la campagne. On l'achetait chez un fermier qui possédait des bois à Bonnert ou à Weiler. Il amenait le bois avec un "tombereau" tiré par un cheval pour la plus grande joie des oiseaux affamés. Il déchargeait le bois sur le trottoir, se faisait payer et s'en retournait.
Il y avait à Arlon un coupeur de bois. Il avait un véhicule étrange. Cela ressemblait à un camion. Il n'y avait pas de cabine, mais une plaque horizontale perforée en son centre pour laisser passer la lame d'une scie circulaire ou d'une scie à ruban (je ne sais plus).
Le "scieur", assis sur la plaque dirigeait le véhicule à l'aide d'un volant horizontal vers sa destination. "Le truc" n'allait pas vite. Il s'arrêtait devant la maison du client. La machine devenait alors une "scieuse" à couper le bois (et les mains). Le véhicule se déplaçait en faisant Tac, Tac, Tac. Je pense que c'était un bricolage local. Si mes souvenirs sont bons, le véhicule se rangeait dans un hangar rue des Martyrs.
Mon père n'utilisait pas le service de "ce scieur" et coupait son bois lui-même à l'aide d'une hache et d'une sorte de "coupe-coupe". J'ai aussi joué à ce jeux. Il fallait couper le bois, puis le ranger dans la cave, au fond, près du puits, vous savez ce puits où l'on jetait les cadavres de l'ennemi pendant les guerres. C'est en manipulant le bois qu'on attrapait des échardes dans les doigts. Ma mère retirait les échardes avec une aiguille chauffée au rouge.
Je connaissais Jean luc Fonck. Il participa au jeu des dictionnaires. Un jour que je préparais mon dîner, la RTBF émit un reportage sur Jean Luc Fonck. Je ne sais plus qui a fait le reportage, mais quand j'ai entendu le nom Fonck, j'ai augmenté le "volume du recepteur ! Je voulais en savoir plus sur lui !
Figure 003: Jean Luc Fonck
La boulangerie-pâtisserie Fonck était la maison verte. J'ai pris la photo au bas de la rue Ermesinde.
Jean Luc Fonck nous a dit qu'il était d'Arlon et qu'il allait à l'école par une rue appelée la rue des Morts. Cette rue est la rue Nicolas Berger, mais les vieux arlonais la connaissait sous le nom de "rue des morts". Cette rue mène à une seule école, celle des Frères Maristes. Il ajouta ensuite que ses parents étaient boulangers pâtissiers à Arlon. Cela m'a posé des problèmes, je croyais connaître tous les boulangers d'Arlon, Simonis, Beicht, Auspert, Ney, Mulhausen, Durant Hugo, Pomba ... mais il n'y avait pas de Funck dans ma mèmoire.
Je connaissait la bière Henri Funck, mais pas de boulangerie Fonck. J'aime aussi la bière.
Je triturais les quelques neurones qui fonctionnent encore sous ma calvitie. Il y avait un boulangerie face à la rue de Morts, c'était la boulangerie Mulhausen, vous savez, à côté des Pompe funèbres Waltener. A partir de là, la rue de Dieckirch descendait jusqu'au cimetière et il n'y avait aucun magasin.
Je vins en train à Arlon pour m'informer. Chaque fois que je parlais à quelqu'un de J.L Fonck, je me rendais compte qu'il savait de quoi je parlais, mais qu'il refusait de me répondre. A voir la tête de mes interlocuteurs, le Jean-Luc en question ne devait pas correspondre à l'idée que l'on se fait dans les milieux bourgeois arlonnais d'un homme convenable. Je dois dire que cela me rendait heureux, moi qui n'ai jamais aimé l'Arlonais "convenable": c'était un bon point pour "le" Jean Luc.
Je connaissais les complexes des bourgeois de notre ville et je me décidais de m'adresser à d'autres sources.
Ma soeur Marguerite etait capable de s'informer. Elle le fit !
Finalement j'appris que la boulangerie-pâtisserie Fonck se trouvait au bas de la rue Ermesinde, de l'autre côté de la rue de la caserne. La maison verte à côté d'un café. Au bas de la rue Ermesinde, à droite j'allais chez "le" Pesch (le complice de mon père) et à gauche j'allais vers la rue de Dieckirch, face à la rue des Morts. Les Fonck étaient des gens comme nous. Ils habitaient aux portes de la Hetchegas. Le bourgeois d'Arlon n'aime pas ceux qui habitent trop près de la Hetchegas.
Jean Luc Fonck expliqua ensuite qu'il n'aimait pas Noël, parce que pendant deux semaines il devait manger les bûches qui n'avaient pas été vendues: ça aussi c'est arlonais. Je me suis alors souvenu que mon père vendait du son et des graines pour poules, qu'eût-ce été si nous avions du manger le surplus. Je devins immédiatemment solidaire de ce brave Jean Luc, je commençais à comprendre pourquoi il avait quitté Arlon ! J'ai quitté aussi !