Les familles Herveg et Lichtenberger ont été fondées par des émigrés allemands. Du côté paternel (Herweg) l'émigré venait de Koblenz en passant par Iechternach, Redange et Frassem. Du côté maternel (Lichtenberger) de Germersheim am Rhein (au sud de Heidelberg). Leur compagnes et les compagnons et compagnes de leurs enfants sont presque tous originaires de l'Arelerland et du Grand Duché de Luxembourg. Ma famille couvre donc beaucoup de villages. Je suis une sorte de mélange de promenade (comme aurait dit Joseph Labranche). Nos ancêtres rencontraient l'être aimé en allant danser dans les villages voisin. Si j'en crois les pierres tombales, les miens allaient parfois danser fort loin !
Pour visiter la famille Lichtenberger à Athus, on utilisait le train qui allait à Virton. C'était un omnibus, un Bumelzuch. Il s'arrêtait à Weiler (Weiler), Autelbas (Nidderälter), Sélange (Séilen), Turpange (Tiirpen), Messancy (Miezeg), Athus (Attem). Mon oncle Emile Henrard était chef de gare à Athus. Comme il habitait à Arlon, on l'appelait "l'onk d'Arlon". Il allait à Athus en première classe. Pour votre gouverne, il y avait alors trois classes.
Pour visiter ceux de l'ouest de l'Arelerland on prenait les bus "Chausson" qui partaient de la place Léopold. Ils remplaçaient un tram que je n'ai pas connu. Ce tram a eu un accident avec la seule voiture d'Arlon à cette époque, celle du notaire Ensch (celui du temps de mon père !).
Pour aller à Parette, le village de ma grand-mère paternelle, on prenait le tram. Il y avait une gare de tram au bas de la rue de Bastogne, près de la Chapelle Sainte Croix. Pendant la guerre de 40-44, le tram était à vapeur. J'ai connu deux types de locomotives à vapeur. Ensuite, on passa de la traction vapeur à la traction diesel. Ces trams appartenaient à la société des chemins de fer vicinaux (SNCV). C'est un ministre (sinistre) flamand qui a fait remplacer ces petits trams par des Bus (Bossels). Il avait, disait-on, des intérêts dans l'industrie automobile. L'électeur naïf croit que celui qu'il élit s'occupe de lui ! Aux dernières nouvelle on va remettre un tram ...
Nous aimions le tram. J'ai gardé un souvenir merveilleux des trams. Des trams à voie unique, qui traversaient bois et les champs. On pouvait ouvrir les fenêtres, recevoir des escarbilles dans les yeux et gueuler un bon coup. Le tram s'arrêtait pour laisser descendre et monter les villageois.
Le garde avait une sorte de planche avec des billets. Il détachaient chaque billet le long des pointillés pour les distribuer aux voyageurs: il y avait des haltes mais il n'y avait pas de gares. Le tram allait à Martelange (Martel) ou il faisait correspondance avec le tram luxembourgeois qui allait à Niederpallen.
Le jour de la fête de Parette on se levait tôt. Je me demande même si on dormait la nuit. Après un bref passage à la salle de bains, on s'habillait "en dimanche". Nous étions vite habillés tellement nous étions pressés. Les parents prenaient plus de temps. Les hommes mettaient leurs costumes de mariage, et rarement on entendait des craquements. Avant guerre, les fils étaient solides et résistaient à l'embonpoint, pendant la guerre la nourriture était rare, et il n'y avait pas d'embonpoint ... Maintenant les hommes mangent mieux et doivent régulièrement augmenter la taille de leurs vêtements. D'ailleurs au lieu d'aller à la fête au village, ils bouffent chez eux devant la télé ... autres temps.
Quand Tout le monde était prêt, on quittait la maison.
Comme il n'y avait pas beaucoup d'autos et qu'elles étaient très bruyantes (on les entendait venir), nous marchions au milieu de la rue. On descendait la rue des Faubourg et la rue de Bastogne jusqu'à la gare du Tram.
A Arlon, il y avait et il y a toujours, même si elle a un autre usage, une gare du Tram. Mon père achetait les billets. oui, c'étaient des billets, pas des tickets; des billets blancs en papier (il y avait aussi des billets roses). Nous allions dans un des wagons du tram. Souvent nous restions debout sur la plate-forme arrière du dernier wagon, regardant l'herbe qui semblait reculer sous nos pieds.
Le tram n'avançait pas rapidement. Il ralentissait longtemps avant les arrêts. Quand c'était la fête à Parette, à chaque village montaient des gens qui allaient aussi à la fête. Ils transportaient des tartes suspendues dans des tissus à carreaux rouges et des bouteilles d'alcool, du quetsche et de la mirabelle. Arrivé à la "Corne du Bois des Pendus", tout ce beau monde descendait et allait à pieds à Parette. Il n'y avait pas de macadam, c'était un chemin avec ornières. Le long du chemin on cueillait des fleurs. Je me souviens que ma soeur Marguerite jouait avec un oeuf de cane en le poussant comme on fait avec un ballon de foot. Il est arrivé intact, c'était des coquilles solides, comme les canes qu'on faisait avant guerre (Ha ! Ha ! Ha !).
Nous arrivions par le haut du village et nous descendions la rue unique. A chaque ferme des gens se détachaient du groupe. Devant les fermes, il y avait alors un fumier. Comme son nom l'indique, il fumait. Un liquide brunâtre en découlait, coulant le long de la rue (en pente) vers l'école du village. L'odeur du fumier faisait partie de la fête. A Arlon il n'y avait que les crottins des chevaux "Lambert". Ces crottins, fumants eux aussi, mais l'odeur était moins prononcée, c'étaient des crottes urbaines.
Nos cousins habitaient deux ferme. Nous allions d'abord chez Victor. Toutes les fermes (sauf celle de Victor) ont été rachetées par des gens d'ailleurs, seul reste celle de Victor (il a près de 100 ans). Il résiste aux belgicains qui l'entourent. Quand il veut avoir la paix, il sort son tracteur pour aller travailler au bois. Tous les habitants, effrayés, rentrent alors chez eux en courant, c'est bon de courir à la campagne, l'air y est si vivifiant !
Ensuite nous allions ensemble à la messe. Il n'y avait pas de curé à Parette, mais le curé d'un village voisin (Heinstert, sans doute) venait pour la messe de la fête. Après la messe, il y avait une sorte de procession qui allaient aux petites chapelles du village. Mes cousins avaient la responsabilité de garnir l'une d'entre elles. Elle existe toujours, à mi pente le long de la rue unique. A gauche en descendant.
On a supprimé les fumiers. Les autos se chargent maintenant de l'odeur, à tout prendre je trouvais l'odeur des fumier plus écologique.
A cette époque, l'apéritif était une chose sérieuse. On le prenait chez mon cousin Victor. C'était une mignonne petite table. Il y avait un petit plateau. Sur le plateau il y avait des petits verres grands comme des dès à coudre, remplis d'un liquide transparent comme de l'eau, "la dreupp". Quand on disait "santé", les hommes vidaient d'un coup leurs petits verres, les femmes le portaient aux lèvres mais le plus souvent le redéposaient poliment, un peu comme faisait le Roi Baudouin. Les enfants se précipitaient sur les verres des femmes. Ils y allaient prudemment, car le quetsche que l'on distillait à l'époque devait faire 55°. Rien qu'en regardant ces verres les enfants étaient joyeux pour toute la journée.
Certaines femmes avait une méthode très efficace pour prendre l'apéro. Dans leurs "sacoches", il y avait des morceaux de sucre. Elles trempaient un morceau dans le verre d'alcool. Le morceau aspirait l'alcool et elles aspirait l'alcool du sucre puis recommençaient. C'était un procédé rapide: l'alcool arrive de suite au sang par les poumons et nos "petite vieilles" étaient rapidement très gaies. Les adultes étaient en général très résistants, surtout les femmes qui avaient du sucre dans leurs sacoche ! L'entraînement, voilà la clé ! Si vous désirez vous entraîner, le pharmacien vend des petites bouteilles d'alcool de Ricqules. C'est bon pour l'estomac, mais aussi pour le moral ! Les dames ont la bouteille et les sucres dans leur sac à main.
On montait à l'autre ferme. Je disais "chez la Madame de Parette". Là, dans la salle à manger il y avait des assiettes pré-servies avec bu bouillon. Au milieu de chaque assiette, dans le bouillon, il y avait une biscotte ronde. Le bouillon était légèrement rosé car on y ajoutait un rien d'extrait de tomates. On se mettait de suite à table et on buvait sa soupe. Je mangeait d'abord la biscotte qui avait épongé le bouillon. Nous mangions proprement et nous nous tenions convenablement pour ne pas avoir d'ennui avec nos parents.
Les adultes ne buvaient rien pendant le repas: il n'y avait pas de verre à table, même pas de verres à eau ! N'imaginez pas que les enfants désiraient du vin, mais une bonne limonade ne leur a jamais fait de tort. On mangeait ainsi jusqu'au soir. Je dis on, mais nous les gosses, nous commencions par jouer sous la table, puis dans la cuisine. Pour le dessert, on nous appelait, car nous étions loin là bas au fond des champs, près des bois.
Chez "la Madame de Parette", les enfants étaient rois. Elle préférait les enfants aux adultes. Comme elle avait tout préparé, elle jouait avec nous dans l'immense champs situé derrière sa ferme. Son chien de garde, Milord, se joignait aux ébats. A Parette s'élaborait l'Europe, les chien s'appelaient Milord et les toilettes Bismarck. Je ne sais pas si l'offensive von Runstedt a changé la donne.
Après le dessert, il y avait le café. Le café était poussé sérieusement avec ce que l'on distillait de l'autre côté de la frontière luxembourgeoise toute proche.
A Parette, il n'y avait pas de conduite d'eau. A côté de l'évier de la cuisine, il y avait une pompe. Chez "le" Victor, la pompe était verte. Si la pompe était amorcée, on soulevait le levier et on pompait pour faire venir l'eau dans la "Wasserstein". La wasserstein était taillée dans le schiste. Elle était donc bleue. Il y avait un puits (Petz) duquel la pompe aspirait l'eau.
Venant de la ville, je croyais que pour traire les vaches on leur empoignait la queue. Ensuite je pensais qu'on se servait de la queue comme de la poignée de la pompe de la cuisine. Je me demande si je ne croyais pas non plus (comme Milou) que le lait se trouvait dans des bouteilles. Enfin, l'école était là pour parfaire mon éducation. C'est à Parette que j'ai appris à traire les vaches. Apprendre est un bien grand mot, parce que je n'ai jamais bien réussi ! Un citadin reste un citadin !
Nos cousins faisaient la fête, mais ils s'occupaient de tous les problèmes que l'on rencontre à la ferme. Un jour, pendant la fête Victor quitte la table puis revient en disant terrorisé que l'une de ses vaches avait mauvaise mine.
On ne badine pas avec la mine des vaches. Les hommes se lèvent de table instantanément et, en habit du dimanche, vont examiner la bête qui est dans l'étable de l'autre côté du couloir. A-t-elle de la température. On lève la queue de la vache pour y introduire le thermomètre. Oignon en main, on mesure trois minutes. La vache à de la fièvre ! On va essayer "le poireau". Si le poireau ne marche pas, on appellera le vétérinaire.
La cousine amène un poireau dont elle a enlevé les radicelles. Le plus vieux des hommes soulève la queue de la vache et plante vigoureusement le poireau sous la queue. Ensuite, pour laisser au poireau le temps d'agir, on retourne à table pour continuer les agapes.
On n'abandonne pas la vache. Deux heures plus tard, on retourne à l'étable. La vache a toujours mauvaise mine. On retire le poireau (a-t-il servi à préparer un potage, après un rapide lavage ? Ce n'est pas impossible). On mesure à nouveau la température de la bête. Elle est toujours élevée ! On discute et finalement le plus âgé propose d'appeler le vétérinaire. Les autres sont d'accord. Cela va coûter cher ... un dimanche !
Le vétérinaire vient. Il examine la bête et instaure un traitement. Il prend le thermomètre et va examiner "le" Jean-Marie, notre cousin qui est aussi malade. On ne va quand même pas appeler un docteur d'Arlon ! Un vétérinaire, puis un docteur !
Devant les fermes, il y avait comme je l'ai dit un fumier. Mais derrière la ferme c'était pas mal non plus. Il y avait des poules, des oies et des canetons et la feuillée.
Comme tout était ouvert, les poules avaient accès à la cuisine. Elles venaient sans doute pour voir ce que devenaient les oeufs qu'on leur prenait.
Le soir, nous allions au bal de la fête. Dans le haut du village il y avait une épicerie. Mais l'épicerie était aussi le bistrot et une salle de bal quand on écartait les meubles. Il y avait un homme orchestre, qui manipulait plusieurs instruments, utilisant mains et pieds ! Le curé n'aimait pas les bals dans le petit caboulot de la "Corne du bois des pendus", mais ceux du village ne l'effrayaient pas trop.
Après le bal on rentrait dans les fermes où l'on passait la nuit. On dormait à une dizaine par pièce, sur le lit ou à même le plancher. Le matin on se débarbouillait à la pompe, on déjeunait et on rentrait à Arlon en tram. A la gare du tram il y avait des collabos et la Gestapo. Ils inspectaient les colis pour voir si nous n'avions pas fait du marché noir.
Une fois à l'école primaire, nous n'allions plus au bal et il fallait prendre le tram le soir même.