Figure 001: Plaque commémorative
Cette plaque fut placée après la guerre, là où le Docteur Jean Louis Hollenfeltz fut assassiné.
Nous avions progressivement acquis une compréhension complète du dialecte germanique local: nous comprenions tout ce qu'on cherchait à nous cacher. Plus tard, nous avons aussi appris à lire le français et donc les placards de la Gestapo ... Tout cela nous a appris qu'on exécutait des gens dans la prison d'Arlon, dans les bois et villages voisins. Ce que nous avons entendu et lu nous a fait apparaitre la guerre sous son aspect réel ... Nous avions peur, de plus en plus peur, et nous rêvions d'actes héroïques. Les résistants nous faisaient rêver! Les gosses d'alors comprennent mieux que les adultes de maintenant les petits palestiniens qui vont se faire sauter au milieu de l'occupant, nous aurons fait la même chose ... On ne doit jamais envahir un pays, quelque soit le motif. Et c'est valable pour les belges, allemands israéliens ou américains ...
C'était la nuit. En entendant une course, puis des coups de feu dans la rue, je m'étais précipité vers la fenêtre de ma chambre à coucher pour voir ce qui se passait dans la rue. Il faisait chaud, la fenêtre était ouverte sur la rue des Capucins, je pouvais tout voir et tout entendre au travers des persiennes: à cette époque il y avait des volets à persiennes aux fenêtres.
Il y avait un corps étendu inerte, le visage contre le pavement, là, tout près, au bas de la rue. Je ne voyais que ce corps immobile. J'aurais dû voir aussi les assassins, mais mes yeux de gosse ne voyait que ce corps que je savais mort. Qui étais-ce, pourquoi courrait-il ?
Je ne les voyais pas, mais j'étais sûr que c'était des "boches" qui avaient commis ce meurtre.
Le plancher se la chambre à coucher était en bois et mes parents ont entendu ma course. Ils étaient au rez de chaussée et regardaient sans doute dans la rue. Ils sont montés et sont entrés dans la chambres. Ils m'ont dit que l'on tirait trop dans la rue des Capucins, qu'ils allaient me mettre immédiatement dans une autre chambre dont les fenêtres donnaient sur une rue plus étroite et plus calme, la rue de la Porte Neuve. En tout hâte ils m'ont amené dans cette autre pièce, ils ont rapidement fait un lit et m' y ont couché sans parler de ce que j'avais vu et qu'ils avaient vu aussi.
Ce que nous avions vu nous affectaient fort et je pense que personne ne savait que dire. Nous étions comme choqués, incapables de parler.
La vision de ce corps me hante souvent la nuit. Je ne sais pas si le détail de mon compte rendu est fidèle, mais le souvenir que j'ai de ce que j'ai vu cette nuit-là est celui d'une chose horrible: peut-on ainsi ôter la vie à quelqu'un ?
Quand un gosse a vu cela, je comprend qu'il aille se faire sauter parmi les responsables de la chose.
Personne ne savaient qui était la victime. Ma mère croyait que c'était son frère cadet "le" mony René "qui faisait de la résistance": même imperméable, les cheveux plaqués, gominés, coiffés en arrière ... Elle pleurait.
Les adultes des maisons voisines avaient tout vus. Dans les livres d'histoire locale, on décrit l'événement d'une manière plus simple: Il y avait le bon poursuivi par les mauvais, comme au cinéma. Il n'y avait pas de spectateurs. L'acte est décrit comme isolé ... héroïque, mais désincarné ... Ceux qui ont écrit n'étaient pas là, n'étaient même pas nés ?
Contrairement à ce que l'on pense (ou à ce que l'on écrit), tous les adultes de la rue étaient aux fenêtres, cachés derrière leurs persiennes ou derrière leurs tentures. Ils ont vu l'arrestation de pharmacien Fritz Barnich et le meurtre d'une autre personne en rue. Eux non plus ne savaient pas qui était la victime. A mon avis, ils avaient tous peur. Ils se demandaient s'il ne seraient pas les victimes suivantes. Ils ne savaient pas pourquoi les boches arrêtait ou tuaient ces gens. Ils ne savaient pas combien ils voulaient en tuer.
Le lendemain, dès le réveil, je me suis précipité vers la porte d'entrée du magasin pour voir le corps. La porte du magasin était ouverte sur la rue. Il faisait sans doute très chaud, nous étions en août. Sur le corps on avait soigneusement, très soigneusement étendu une couverture rouge avec des bords noirs. J'ai demandé à mon père qui était le mort et qui avait étendu la couverture rouge. Le mort était le docteur Jean Louis Hollenfeltz et l'homme qui a posé la couverture était Monsieur Deruette, l'horloger du coin de la rue (là où il y a une boulangerie maintenant). Il était sorti la nuit pour porter secours à la victime. Il est rentré chez lui et est sorti avec la couverture. Il a mis beaucoup de soin pour placer la couverture. C'était un homme très courageux, car cette nuit-là il valait mieux rester chez soi, les nazis circulaient en ville le doigt sur la gâchette. Vous ne connaissez pas monsieur Deruette, ce n'était pas un vantard, mais c'est le genre d'ami que l'on aimerait avoir: un homme qui portait ainsi secours a un inconnu et risquait sa propre vie pour un inconnu.
Figure 001: Plaque commémorative
La grande maison du coin était l'horlogerie-bijouterie de Monsieur Deruette qui est sorti pour prêter secours à la victime au lieu de se cafeleutrer chez lui. La plaque commémorative est à peu près au niveau où le docteur fui abattu le 25 août 1944. J'habitais deux maisons plus haut, de l'autre côté de la rue..
Nous allions souvent chez Deruette mon père et moi. Monsieur Deruette était assis devant son établi, examinant les entrailles de la montre qu'il était en train de réparer. Il portait des lunettes sur lesquelles était monté une sorte d' objectif qui lui permettait d'aggrandir tel ou tel rouage et de mieux l'observer... tout en travaillant Il discutait avec mon père, relevant de temps en temps la tête. Il collectionnait aussi les papillons. Je me souviens que mon père lui avait amené un jour un "Bombix tête de mort". Je n'ai jamais su de quoi il s'agissait, mais j"ai bien retenu le nom.
Pour avoir la paix, les miens m'avaient donné une sorte d'horloge comme jouet. Il ne me fallut pas longtemps pour la démolir, mais chaque fois que je l'avais démolie, patiemment, Monsieur Deruette la réparait me permetant ainsi de la démolir à nouveau.
J'ai vu ensuite deux soldats allemands amenant une charrette à bras. Ils ont chargé le corps du docteur pour l'amener je ne sais où. Ils manquaient de respect envers le corps de celui que nous condidérions déjà comme un martyr. C'est à ce moment qu'est sorti Guirsch, Guirsch le boucher, un Guirsch outré ! Il avait son grand "tablier" et son bérêt blanc; il brandissait son long couteau. Les hommes et les femmes l'ont de suite saisi et l'ont ramené chez lui pour que les "boches" qui étaient là-bas ne le voient pas. Les arguments qu'ils ont utilisés pour le convaincre étaient "raisonnables".
J'étais cependant loin d'être convaincu, et je trouve que Guirsch avait raison: il exprimait ce qu'il ressentait, ce que je ressentais moi aussi.
Figure 001: La boucherie Guirsch
On voit, à gauche, ce qui était la boucherie Guirsch, au centre (Le Central) l'épicerie Klein-Brücher et au coin le magasin "Au Panier d'Or". Au fond, à droite, on voit l'imprimerie Everling. A part les rez de chaussée, les maisons n'ont pas été modifiées. Il n'y avait alors ni macadam ni autos !.
S'il y avait eu plus de Guirsch et de Deruette, il y aurait moins de nazis. Je suis persuadé que la force des nazis, c'était "la trouille" de la majorité des bourgeois, aussi bien ici qu'en Allemagne. Souvenez-vous de ces résistants que l'on torturait et qui se taisaient, souvenez-vous de ceux qui aux moment de leur exécution criaient "Vive la Belgique": l'héroïsme c'est contagieux, ça atteint les gosses aussi !
Mais continuons .. .
Je suis ensuite allé à la cuisine. Assise sur une chaise à droite du "gaz", Madame Antoinette pleurait. La nuit, les nazis avaient arrêté le curé-doyen Joseph Origer et un des vicaires (René Feck). Madame Antoinette cachait Adrien Origer, le frère du curé, un résistant fort recherché. J'ai appris aussi que le Procureur du Roi, André Lucion était en train d'agoniser derrière l'Hôtel du Nord. Des collabos lui avait tiré dans le dos et empêchaient qu'on ne lui porte secours.
Les survivants avaient été amenés à la prison d'Arlon. Il y avait là le père de mes camarades de classe Berthe et Henry Bosseler, Alfred Bertrang, le vieux professeur d'allemand, Fritz Barnich, le pharmacien et un cinquantaine d'autres que je ne connaissais pas. Madame Antoinette était persuadée que le docteur Hollenfeltz courait pour se réfugier chez elle: Tout le monde savait que madame Antoinette cachait des résistants. Il est possible que Madame Antoinette ait joué avec Hollenfeltz dans la Het'chegas quand ils étaient gosses.
Figure 001: Au cimetière de Tontelange
Les jours qui suivirent, les nazis continuèrent leur besogne en assassinant des gens dans les bois autour d'Arlon. Si vous vous promenez par là, il y a encore des mémoriaux. Allez au cimetière de Tontelange ... !.
Les jours qui suivirent, les nazis continuèrent leur macabre besogne en assassinant des gens dans les bois autour d'Arlon. Si vous vous promenez par là, il y a encore des mémoriaux. Allez au cimetière de Tontelange ... Nous n'étions que des petits louvetaux, et parmi les victimes il y avait des grands, scouts ou des routiers ... Notre aumonier, l'abbé René Feck fut arrèté et il est mort lui aussi au camp de Neuengamme
Le but des nazis était d'effrayer la population. Les troupes allemandes reculaient face à la progression rapide des troupes américaines et ils ne pouvait se permettre un second front à l'arrière. D'un autre côté, il y avait des résistants à Arlon qui voulaient créer ce second front. Ce second front aurait malheureusement tiré les bourgeois riches de leur torpeur, Eux qui attendaient que les américains fassent le travail pour eux, quitte à signer des traités qui définissent une soumissions qui nous lie encore maintenant. C'est à cause de leur lâcheté que nous sommes encore actuellement les "valets" des américains.
En juillet 1944, un habitant de Paliseul, un petit village ardennais près de Neufchateau est amené par la Gestapo à la prison d'Arlon. je ne connais pas la raison de son arrestation, je sais seulement que quand on entrait à la prison d'Arlon, on en sortait pour passer devant le Conseil de Guerre pour soir se faire fusiller soit pour rejoindre un des nombreux camps de concentration qui peuplaient l'Allemagne.
La jeune épouse de la victime vint le jour même en taxi à Arlon pour voir comment elle pouvait aider son mari à se tirer de cette mauvaise passe. Elle alla d'abord chez le directeur de la prison, l'allemand Bastenier, qui était un brave homme, mais lui expliqua que ses pouvoirs était limités et qu'il ne pouvait rien faire.
Elle alla à l'église Saint Donat et rencontra Firmin Schmitz qui, jeune prêtre aidait le doyen Origer et ses vicaires. Schmitz écouta et expliqua à la jeune femme que la seule chose à faire était d'aller à deux prier devant l'autel de Notre Dame d'Arlon. Ils le firent.
La jeune femme alla ensuite de nouveau à la prison. Bastenier libéra le mari. Sans autre explication Bastenier leur demanda de quitter rapidement la ville et de se cacher. Le mari fut donc sauvé.
Firmin Schmitz était le treizième enfant d'un fermier d'un petit village au Nord d'Arlon (Post). Il parlait parfaitement bien l'allemand et n'avait peur de rien. Il fut nommé quelque mois plus tard curé de l'église Saint Donat. Jamais il ne me parla de l'affaire, alors qu'enfant de choeur, je le voyais quasi tous les jours. Par contre il développa le culte de Notre Dame d'Arlon, disant qu'elle pouvait obtenir des miracles.
Bastenier fut arrêté lors de la libération, il du comparaître devant le Conseil de guerre d'Arlon. Des arlonnais vinrent en nombre témoigner des services qu'il avait rendus à la population. Il fut de suite libéré. On apprit que sa femme était anglaise et que deux de ses fils était dans la Royal Air Force et ont participé à la libération de la Belgique.
Alfred Bertrang était professeur d'allemand à l'Athenée d'Arlon. Il écrivait des livres d'Histoire et avait fondé le Musée archéologique d'Arlon. En plus de cela il était aussi échevin de l'opposition et membre actif de la minorité germanophone locale.
Des membres de la familles Bertrang avait défendu le pays lors de la guerre de 14-18. Alfred était un handicapé physique et marchait difficilement. Il travailla dans la résistance, mais s'occupa surtout de nourrir les gosses des quartiers populaires pendant la guerre 1940-1945.
En 1920, il remarqua un élève particulièrement brillant et lui proposa de continuer ses études en allant à l'Université de Liège. Le garçon lui a répondu que sa famille était très pauvre et ne pouvait lui payer des études universitaires. Le lendemain, Bertrang lui amena 500 francs, ce qui en 1920 était une somme énorme en 1920 (Bertrang venait publier un livre qui avait du lui rapporter cette somme)
Le 25 août 1944, Alfred Bertrang fut arrêté par la Gestapo et emmené à la prison d'Arlon. Le lendemain matin il fut libéré et appris que c'était par celui qu'il avait aidé en 1920 (qui était devenu collaborateur). Quarante personnes avaient été arrêté en même temps que lui. Elles furent toute envoyée au camp De Neuengamme. Une seule en est revenue vivante.