introduction (souvenirs)

Fritz Barnich





La guerre était finie. Ce jeudi après-midi, mon père nous demanda, à mes soeurs et à moi de nous "mettre en dimanche". Il nous prit ensuite par la main comme il le faisait quand nous allions promener. Nous avons traversé la place Didier, longé la rue de Diekirch, descendu la rue des Faubourgs jusqu'à l'école communale du haut de la rue de Neufchateau (tout près de l'endroit où l'on a jugé Dutroux).

Dans le hall de l'école communale, il y avait un grand catafalque noir au sommet duquel il y avait un drapeau belge.

Mon père enleva son chapeau et se mit à prier silencieusement. Je lui demandai pour qui était ce catafalque. Il me répondit que c'était pour son ami Fritz Barnich. Je n'avais jamais vu mon père pleurer...

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Figure 001: Des Déportés
J'ai appris plus tard, qu'il n'y avait pas de cercueil sous le catafalque, que le corps de Fritz Barnich ne reviendrait pas d'Allemagne, du camp de Neuengamme. Origer était le curé-Doyen de notre paroisse, Feck un de ses jeunes vicaires, Biot un Père Jésuite, Bosseler était le père de copains de classe, Gathy, un pâtissier de la place Léopold ....


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Figure 001: La pharmacie de Fritz Barnich
Elle n'a pas beaucoup changé depuis son départ.

J'ai appris plus tard, qu'il n'y avait pas de cercueil sous le catafalque, que le corps de Fritz Barnich ne reviendrait pas d'Allemagne. Il reposait quelque part là-bas avec d'autres arlonais déportés.

La pharmacie de Fritz Barnich existe encore, elle est quasi inchangée (voir photo). Mais c'est un autre pharmacien. C'est la pharmacie à côté du petit GB, autrefois entre la "Boule Rouge" de madame Deslosge et les galeries Ridley, près de la Place Hollenfeltz.

Quand nous étions petits, nous allions souvent chez Barnich. C'est là que nous achetions l'huile de foie de morue, l'huile de ricin, la teinture d'iode, les chocolats purgatifs, les sirops pour la toux, les poires à lavements, les poires a talc, le Pénateur (à cette époque, il n'y avait pas de langes dispensables et les petits derrières souffraient beaucoup, maintenant on dit Penaten au lieu de Penateur), la phosphatine Falière ...

Du temps de Fritz Barnich, le comptoir était dans le fond du magasin, prés de la porte arrière. Il était perpendiculaire au comptoir actuel. Près de l'entrée, il y avait un support pour parapluies en fer torsadé gris, et un petit bassin en émail blanc pour recueillir l'eau.

Fritz Barnich était une personnalité locale, les gens le respectaient et il était membres de plusieurs associations de commerçants. Il faisait sûrement de la résistance, mais on ne disait pas cela aux enfants. Il avait une fille plus âgée que nous.

Nous aimions ce pharmacien. Il était toujours jovial. Nous savions aussi qu'à côté de l'huile de ricin, il vendait des bâtons de réglisse, de la jujube et des pastilles "Valda". Etait-ce lui qui vendait l'alcool de Ricqulès que nos grand-mères aspiraient sur un sucre quand elles digéraient mal ? Etait-ce lui qui vendait le "Carbobel" et l' "Opocalcium Irradié" ? Etait-ce lui qui vendait l'ouate "Thermogène" et la pommade "Diable Vert" contre les cors aux pieds ?

Un jour il donna deux brosses à dents "en corne" pour enfants à ma mère, disant qu'il pensait qu'il n'en trouverait plus avant la fin de la guerre et que nous devions en prendre soin.

Le 25 août 1944, les allemands le déportèrent et il ne revint jamais, ni lui ni les autres. Il n' a pas de buste. Il n'y a pas de rue qui porte son nom. Un jour de marché, en 2004, une dame qui a connu cette époque , m'a dit: il vaut mieux oublier ce qui s'est passé alors. C"est ce jour-là que j'ai pris la photo de la pharmacie ...

Faisons tout pour que cela ne se reproduise plus !


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