Lors de cette grève, je n'étais pas encore médecin, mais étudiant en dernière année. J'effectuais le stage légal de chirurgie, aux cliniques universitaires Sint Pieters à Leuven (Louvain). Survint la première grève nationale des médecin belges en 1964, une grève organisée par les membres l syndicat des Médecins.
Nos enseignants profitaient de ce répit pour se reposer à chez eux. Ils nous avaient donc laissé l'entière responsabilité de l'Institution universitaire. Les médecins de la ville tapaient la carte dans une salle l'hôpital. Ils étaient sensés nous aider et nous surveiller discrètement.
Les étudiants de dernière année étaient donc chargés de recevoir et soigner les patients qui osaient se présenter aux consultations. On les avait intimidés pour les décourager. Les membres du personnel étaient tous à leur poste et nous aidaient efficacement. Les malades avaient peur et peu osaient se présenter. Nous avions donc peu de travail.
Un homme arriva, une petite fille dans les bras. Il se présenta, Docteur C. de Leuven (Louvain en flamand). La petite fille avait une fracture de la jambe. Il venait avec la petite patiente, à la place des parents. Ceux-ci, ouvriers, avaient peur de ces médecins en grève. Le Docteur C., médecin du peuple, avait promis d'accompagner la petite fille dans les dédales des Cliniques Universitaires, de la faire soigner, au besoin de la protéger et de la ramener plâtrée à la maison.
L'enfant ne semblait pas avoir peur, elle avait une totale confiance en C.
C. nous apparut comme un modèle de médecin de famille. Voir des médecins de ce genre à l'action constituait en fait une partie de notre idéal. Il constituait l'alternative à ceux qui battaient la carte pour se surveiller pendant la grève. Pour eux, le danger, c'était le confrère qui ne venait pas, profitant de la grève des autres pour s'enrichir à leur dépens. En battant la carte on se surveillait discrètement...
C. nous suivi au Département de Radiologie, fit la radio avec nous et les techniciens, puis nous aida à l'interpréter l'image. Il agissait un peu comme un maître de stages. Il revint avec nous en Orthopédie, où il nous aida à la pose du plâtre, déridant la petite fille ...
Quand tout fut terminé, il nous remercia, reprit la petite fille dans ses bras et quitta les Cliniques.
Vint alors un grévistes, un de ceux qui battaient la carte. Il nous dit:
- "Ce sale communiste vient enfin de sortir ! "
- "Un communiste ? dis-je, étonné !"
- "Oui répondit l'autre, pour travailler un jour de grève, il faut être communiste non ? C'est un de ces médecins des quartiers ouvriers, une sorte de "médecin du peuple" ! Un communiste quoi !"
- "D'ailleurs il a fait trois mois de prison pour avortement ... vous vous rendez compte, il a pratiqué un avortement: c'est un assassin en plus !"
- "Je ne comprend pas dis-je ? Pour un avortement on fait plus que trois mois de prison en Belgique (alors) et en plus on est rayé à vie de l'Ordre des médecins (alors)... Or, il pratique donc ..."
- "Oui, mais il n'a pas fait l'avortement pour s'enrichir, simplement pour rendre service aux gens..."
Le docteur C ne considérait donc pas ses patients comme des steaks ... il était à leur service ... jusqu'à aller en prison pour eux !
Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Le Docteur C. nous devenait de plus en plus sympathique ! Au lieu de faire de grands discours pour démolir les autres, il amenait une petite fille dans ses bras un jour de grève pour la faire soigner ... Il aurait pu appeler une ambulance, non, il accompagnait lui-même l'enfant.
Un jour, un professeur de l'Université flamande (KUL) me dit que, quand il était encore généraliste dans son village à Merlebeek, il avait constaté que les vrais responsables des avortements étaient les bonnes chrétiennes qui passaient leur journées à cancaner sur le dos des autres habitants ainsi que ces chefs d'entreprises catholiques qui expulsaient les filles mères de leur personnel ... Le Pape François à fait récemment allusion à ce genre de comportement.
"Les commérages tuent "!
Les bons battaient la carte et faisaient grève, le mauvais, lui travaillait et non seulement aidait ses patients, mais il allait parfois en prison pour leur rendre service !
Par la suite, j'ai voyagé et le Dr C. est mort. De retour en Belgique et suite au "Walen Buiten", certains extrémistes flamands ont manifesté pour que nous retournions en Wallonie. C'est à la suite de cette gentille invitation que j'ai déménagé à Wavre.
J'ai toujours été très mal à l'aise vis à vis du problème de l'avortement. J'avais un ami, le Dr Willy Peers qui avait été condamné à plusieurs années de prison pour avoir pratiqué des centaines d'avortements. Nous avons longtemps été, lui et moi éditeur responsables d'une revue d'éthique médicale. La revue étant pluraliste, nous avions été choisi dans ce but, il signait comme "athée" et moi, comme "catholique".
Willy avaient d'autre amis catholiques, par exemple le RP Troisfontaine sj, Recteur des Facultés ND de la Paix à Namur et professeur de philosophie. Ce dernier avait fréquemment affirmé que Willy, plus qu'un médecin était un interlocuteur qui réfléchissait aux problèmes de la vie avec une très grande honnêteté.
Comme Jésus Christ le lui avait enseigné, Troisfontaine n'avait pas peur de fréquenter les "publicains ...". Willy fréquentait des étudiants en médecine catholique et des religieuses, parmi elles la directrice d''un hôpital qui était redevenue simple infirmière pour travailler humblement dans un hôpital public de Bruxelles.
Un Professeur de philosophie m'avait demandé de donner, en plus de mes cours, un cours de philosophie en Médecine.
Aux yeux de la faculté, je passais pour une sorte d'enseignant "contaminateur des jeunes"... Heureusement, je fus bien défendu par le Vice-Recteur de l'époque (un prêtre) et le professeur de philosophie).
Malgré tout, on disait qu'à l'instar du professeur Tournesol, à côté de réelles qualités scientifiques et pédagogiques, j'avais des idées un peu spéciales ... On résumait le tout en disant que j'étais une sorte de "farfelu".
Je me suis toujouts demandé si l'avortement était plus condamnable q'une guerre ou qu'une famine produite par le capitalisme... Plutôt que du travail à la pièce, il ne valait pas mieux utiliser les bombes atomiques stockée par la Belgique à Klein Brögel ... Une Bombe, atomique ou non ça tue bien les gosses ... et beaucoup à la fois ... non !
Il y a encore des sépulchres blanchis ... à la fois membres de l'OTAN et contre l'avortement.
Un jour , un petit malin vit que mon nom voisinait celui du Dr W. Peers en tant qu'éditeur responsable d'une revue pluraliste. Le petit malin alla chez le Recteur, lui disant que j'étais pour l'avortement, et qu'une Université catholique se devait de protéger la jeunesses contre les individus de mon espèce. Une accusation grave et efficace. Figurez-vous que je fus à nouveau chaudement à défendu devant le Recteur par le Vice -Recteur. Il n'était pas pour l'avortement, mais avait l'esprit ouvert. Entre ecclésiastiques, ma cause fut tellement bien défendue et je ne fus plus jamais touché par de agresseurs.
Au lieu de faire comme son prédécesseur et de contempler sa belle soutane noire et de compter les petits boutons violets qui la décoraient, le nouveau vice-recteur était resté simple abbé, il portait veston et pantalons comme les hommes normaux et recevait lui-même les victimes de problèmes sociaux pour les aider à sortir des difficultés qu'ils rencontraient. Comme disait un aumonier des étudiants, "Il a changé la profession en retournant aux sources".
Il travaillait dans un bureau proche du mien. Il avait l'esprit très ouvert et a souvent ouvert le mien.
Le but de la philosophie que j'enseignas était d'apprendre à discuter de tous les problème que les patients rencontraient, quoiqu'en pensent certains. Pour que les étudiants en médecine puissent en discuter, il fallait d'abord qu'ils les connaissent. Je devais organiser des séminaires et présenter des personnes ayant des idées diverses, idées auxquelles seraient confrontés les étudiants une fois devenus médecins. Il était donc tout à fait normal que des personnes telles que Willy Peers soient invités dans une université catholique: l'avortement n'était pas une vue de l'esprit.
Le conseil d'Administration de l'Université discuta mon cas: je donnais un cours de philosophie, sans les diplômes nécessaires. Jean Hallet, Secrétaire général des mutuelles qui présidait alors le conseil spécifia: "il n'a pas le diplôme requis, mais il a une formation équivalente" . On ne me toucha plus.